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du soir seulement, nous atteignons un cirque déprimé, où le drinn fait un fond d’herbages verts et où deux petites colonnes de pierres blanchies à la chaux supportent une poulie et une corde. C’est le puits de Hassi-el-Hadjar, où nous allons soigneusement nous approvisionner ; car nous aurons ensuite six jours sans eau.

Ce soir, la tombée de la nuit est admirable sous la multitude des étoiles. Dans la nuit transparente, nous restons très tard à causer, étendus sur notre tapis. Un grand conseil se tient. Mettre quinze jours pour gagner El-Goléa par Hassi-el-Hadadra, ainsi que je l’ai promis à M. Boucherie, c’est vraiment bien long. Nous sommes dix-huit et bien armés ; pourquoi d’ailleurs les pillards suivraient-ils le chemin direct d’Ouargla à El-Goléa, les plateaux désolés et sans eau où jamais une caravane ne passe ? Je demande à Bou-Djema de nous conduire par ce chemin direct ; c’est un trajet d’à peine une semaine. Il hésite un peu, puis consent. Nous en serons quittes pour prendre de sévères précautions.

Bou-Djema place lui-même une sentinelle près du puits. Mais l’insouciance de ces Arabes est vraiment sans bornes ! Quand je me relève la nuit pour vérifier la surveillance, je trouve la sentinelle profondément endormie.


11 Octobre.

Aujourd’hui l’on se met en route très tard. Il faut abreuver les chameaux qui devront se passer de boire pendant six jours et qui, comme s’ils s’en doutaient, absorbent des quantités d’eau prodigieuses. Il faut aussi remplir nos outres et nos tonnelets ; dix chameaux suffiront à peine pour transporter l’eau qui nous sera nécessaire. Ah ! que nous souffrirons ! Cette eau de Hassi-el-Hadjar est, comme presque toutes les eaux du désert, détestable, chaude, d’une saveur magnésienne, remplie de poussières et d’insectes en décomposition ; on ne peut la boire qu’à travers un linge qui en retient tant bien que mal les impuretés ; encore est-il bon de fermer les yeux. Ce sera pourtant là notre régime durant six jours. Dans les guerba en peaux de bouc cousues, l’eau se conserve relativement fraîche mais prend un goût très prononcé de goudron ; dans les tonnelets, au contraire, où sa saveur ne s’altère point, elle devient vite très chaude par suite du ballottement. Il faudra choisir entre ces deux désagrémens.