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Une fois partis, nous ne sommes pas au bout de nos peines. Comme il arrive trop souvent, les chameaux qui s’effrayent d’un rien s’emportent, jettent leurs charges, s’enfuient au loin dans toutes les directions. Impatiens d’atteindre, pour la halte de midi, un endroit connu du guide et où nous aurons de l’ombre, je ne veux pas attendre ; Chayb, Adda et cinq cavaliers demeurent en arrière pour rallier les chameaux désemparés, et le reste de la caravane part avec nous en avant.

Ils se font attendre, les retardataires, et je commence à être inquiet, bien que le guide m’assure qu’ils trouveront facilement nos traces, très perceptibles aux yeux d’un Saharien.

C’est toujours le plateau, l’interminable hammada grise. De temps en temps seulement de petites dépressions se voient, où les vents ont amassé des sables. Parfois aussi, un oued desséché interrompt la surface horizontale, et nous traversons l’immobile coulée blonde, allongée vers de vagues lointains.

Tout à coup on s’arrête. Le plateau s’affaisse brusquement et en has, au-dessous de nous, s’arrondit un cirque profond et surchauffé entre des murailles de terre rouge. Au dedans, c’est un étincellement, un bouillonnement de fournaise ; les jeux du soleil y font comme des flammes ondulantes et scintillantes sur le fond qui rougeoie. On dirait une grande cuve de matières en fusion, bouillantes, incandescentes. Et de là monte un souffle brûlant, une haleine de brasier.

Les chameaux font quelques difficultés pour descendre ; ils s’y décident enfin et nous dévalons le long des éboulis que le vent a accumulés sur un des côtés de la dépression. Ah ! l’intolérable chaleur qu’il fait là-dedans, l’air immobile, irrespirable, pesant, dont l’intense réverbération aveugle I Heureusement le sol est ferme, la marche rapide.

Remontés sur le plateau, nous trouvons de profondes déchirures creusées, il y a des milliers d’ans, par des fleuves morts aujourd’hui, et c’est dans l’une d’elles, qui projette sur nous un grand cône d’ombre, que nous nous arrêtons pour déjeuner.

Nos retardataires ne sont toujours pas revenus. Mon inquiétude a gagné Bou-Djema, qui regarde souvent à l’horizon du Nord ; un instant, il monte même au sommet de la gara qui nous abrite pour inspecter les lointains. Cette fois il les a vus, et bientôt en effet ils sont là. Honteux de leur retard, Chayb et Adda se précipitent à mes genoux qu’ils embrassant. Une verte semonce, que je leur