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El-Goléa !

Là-bas, par delà le cercle de l’horizon, une dentelure vaporeuse, à demi diaphane, une sorte de château de rêve, sans appui, comme envolé en plein ciel. On dirait une nuée rose, une petite vapeur du matin, accrochée là-bas, bien loin, aux herbes du plateau.

Mais la vision se précise ; le rêve devient quelque chose de réel, de solide. C’est le kzar d’El-Goléa, tout rosé d’aurore, surgissant très haut du lit de l’Oued-Messeguen et dominant les solitaires plateaux. On ne voit pas encore la vallée, on la sent en bas, sous l’horizon, dans le brusque dévalement des pentes. Et on se hâte vers la verdure et vers l’eau.

De la crête de la falaise, un saisissant tableau se découvre tout d’un coup. Des sables, des sables à perte de vue, une mer de monstrueuses vagues d’or, qui viennent on ne sait d’où, comme pour engloutir les hauteurs où nous sommes. Ce sont les grandes dunes de l’Erg occidental ; leur énorme masse fauve est piquée en quelques coins de taches vertes, qui sont les jardins d’El-Goléa, taches si clairsemées, si petites, qu’on les prendrait pour un mirage et qu’une crainte irréfléchie nous angoisse de les voir peu à peu se fondre, disparaître, s’évaporer dans le vide de l’air étincelant.

Dans une coulée de sables amassés par les vents, nous gagnons la vallée. La marche se précipite ; les chameaux, qui ont senti l’eau, reniflent, et, malgré nos efforts, les voilà qui s’emportent, qui s’emballent en une galopade folle, jusqu’à une seguia d’eau courante où ils s’agenouillent et boivent à longs traits goulûment, bruyamment.


VI

Entre les escarpemens gris de la hammada et l’océan fauve des dunes, au fond d’un vallon calciné, quelques palmiers tordus, semés à l’aventure, salis d’une éternelle poussière ; une trentaine de masures, jetées au hasard, bâties de terre séchée, misérables, sordides, invisibles presque sous leur teinte brun safrané, l’uniforme teinte du désert ; un roc isolé, arraché violemment du plateau par le fleuve puissant qui autrefois a sculpté cette vallée, et couronné d’une forteresse, du ksar des Châamba-el-Mouadhi, évoquant un burg gothique sur les bords d’un Rhin desséché ; un