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Voici enfin un feu tout pâli par l’éclat du ciel. C’est Hassi-el-Hadadra. Il y a là une maisonnette, où sont quelques soldats du génie venus pour préparer l’étape de la colonne expéditionnaire du Touât. Ils nous regardent étonnés et se mettent à notre disposition. Le camp dressé, il est minuit. Treize heures en selle ! Nous pouvons à peine dîner et, dans cet abri ouvert à l’air et à la lumière, et dont les murs crépis de chaux vive semblent des murs de sépulcre, nous tombons dans un profond sommeil, tandis que continue au dehors le spectacle féerique de la lune passant majestueusement sur les campagnes endormies.


23 Octobre.

Encore une bien longue étape aujourd’hui ; elle sera pourtant moins dure que celle d’hier, car nous marcherons sur le plateau de la chebka où, jusqu’à Ghardaïa, l’administration militaire a fait frayer une sorte de route plane et résistante.

Combien nous regrettons vite, oublieux des fatigues passées, les paysages magiques des sables d’or ! Nous sommes sur un plateau, de temps en temps seulement interrompu par de petits vallons solitaires, rocheux, sans arbres, sans herbe, qu’on ne voit pas d’avance dans la grande rectitude des alentours. Et nous voilà de nouveau pour trois jours sur les plateaux désolés, où nous avons tant souffert jadis du rayonnement de la chaleur et des perpétuels mirages.


Rencontre singulière et inattendue dans la lumière neuve du matin.

Dans les lointains apparaît une caravane ; des chameaux portant des hommes à longue barbe, enveloppés de laine blanche. Ce ne sont pas des Arabes ; ce sont deux Pères Blancs, de ces admirables missionnaires du désert, qui vont s’installer à El-Goléa pour prêcher l’Evangile à des gens qu’ils ne convertiront point. Dieu les accompagne sans doute et met dans leur cœur la sérénité, l’humeur égale, le dévouement modeste et silencieux. Nous les avions déjà vus à Ghardaïa, et nous passons avec eux quelques instans à causer. Ils comptent s’établir d’abord à El-Goléa, puis, s’il est possible, s’enfoncer vers le Sud, en plein désert, sur la terre arrosée déjà du sang de leurs frères. Nous quittons ces bons Pères, que nous ne reverrons sans doute plus ; nous nous en allons chacun de notre côté à nos destinées différentes ; nous, nous