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Rochambeau et à Lafayette pour établir leur conception nouvelle. Le plan ainsi modifié fut présenté au Conseil du Roi qui l’approuva — probablement le 22 mars — et le 23, le maréchal de Rochambeau en communiquait à Lauzun les traits principaux. « Vous devez savoir, mon cher Biron, lui écrivait-il à la date précitée, vous devez savoir par les dispositions du nouveau ministère, que leur but, en cas de guerre, est de donner l’offensive à entreprendre à M. de Lafayette sur la rive droite de la Meuse. Cette guerre révolutionnaire est plus dans son genre, et je crois qu’elle peut produire plus d’effet dans le pays de Liège que dans le Brabant. Je conviens que les moyens qui nous resteront seront bien courts... nous ne pourrons guère compter que sur des bataillons de gardes nationales d’augmentation et le retour de quelques escadrons qu’on pourra peut-être tirer de l’intérieur, mais notre ligne de défense deviendra beaucoup moins longue qu’elle n’était ci-devant et nous tâcherons d’user de nos moyens de manière à ne pas rester dans une offensive morte. Si l’ennemi se dégarnit et nous prête le flanc, mon plan serait de camper quatre ou cinq mille hommes à Maubeuge et d’en rassembler douze ou quinze mille près de Valenciennes, avec deux ponts au-dessus de l’Escaut. Il me semble que notre gauche à Valenciennes, notre droite à Famars, la Rhonelle devant nous, deux ponts sur l’Escaut derrière nous pour marcher au besoin vers Douai et Lille, nous mettraient dans une position respectable et à portée de prendre l’offensive suivant les circonstances. Voilà mes vues générales, mon cher Biron. Lafayette doit se rassembler à Dun, et s’il fait quelque entreprise de son côté, il doit nécessairement attirer les plus grandes forces de l’armée du Brahant. Tous ces raisonnemens sont pour vous seul, mon cher Biron ; mandez m’en votre opinion[1]. »

Cette lettre du maréchal causa à Lauzun un profond dépit.

Était-il ambitieux ? Nous n’hésitons pas à répondre par l’affirmative. Ses lettres, que nous avons sous les yeux, sont trop remplies de protestations de modestie et de désintéressement pour ne pas dissimuler la vérité. Le détachement sincère des grandeurs parle un autre langage, ne répète pas à satiété qu’il ne désire rien,

  1. Archives historiques de la Guerre. Année du Nord, 1792. Portefeuille A, 1 a. Carnet de correspondance du général Biron.
    Pour ne pas charger notre travail de notes, nous nous contentons de dire ici que toutes les citations qui vont suivre sont tirées soit du carnet de Lauzun, soit des cartons de la Correspondance générale de l’armée du Nord, mars et avril 1792.