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votre attention... » Et il continuait en exposant ce qu’il avait expliqué jadis et dans les mêmes termes à Narbonne : la nécessité d’une alliance avec l’Angleterre, celle d’obtenir la neutralité de la Prusse, etc., etc.

En affirmant que « ses principes politiques et constitutionnels » avaient toujours été ceux de Dumouriez, Lauzun s’avançait beaucoup. En réalité, ces deux hommes étaient surtout unis l’un à l’autre par leurs préventions ou leurs rancunes contre l’ancien régime, avec cette différence que ces rancunes, très compréhensibles chez Dumouriez, ne l’étaient à aucun degré chez Lauzun.

Il y a lieu de croire que le nouveau ministre des Affaires étrangères ne demeura pas sans être flatté de cette démarche d’un duc à brevet, du représentant le plus brillant de cette aristocratie agonisante sans doute, mais qui, dans ses derniers momens, gardait encore un indiscutable prestige. En tout cas, il était trop fin pour rejeter de telles avances, pour ne pas ménager un homme qu’il savait fertile en ressources, un intime ami du duc d’Orléans, possédant des relations avérées ou secrètes dans toute l’Europe. Il lui répondit donc, à la date du 29 mars, par une lettre dans laquelle il lui disait que « son cœur ne serait jamais en faute avec son honorable ami Biron, » parce qu’il y avait « trop longtemps que leurs opinions et leurs sentimens s’accordaient, » Dumouriez ajoutait : « Voici le moment venu de mettre à exécution pour une nation libre ce dont on nous a écartés sous le despotisme absurde des ministres. Vous êtes, mon ami, un des plus forts arcs-boutans de ma machine politique et militaire ; je garde précieusement les réflexions de votre lettre du 18... »

Cette lettre de Dumouriez parvint à Lauzun, à Valenciennes, le 31 mars. Elle venait à propos pour tempérer l’humeur que lui avait donnée la lettre de Rochambeau, pour calmer l’irritation que lui avaient surtout causée les dispositions du plan de campagne communiqué. Et comment ce plan n’aurait-il pas provoqué chez Lauzun le dépit et la colère ! En premier lieu, l’attribution de la mission stratégique prépondérante à Lafayette, chargé, comme on l’a vu, du rôle offensif et brillant, alors que les deux autres armées du Nord et du Rhin gardaient la défensive, était une première cause de mortification. Effectivement, Lauzun n’aimait pas Lafayette, son cadet de dix ans, qu’il voyait à trente-cinq ans commander en chef une armée, quand lui, Biron, venait à peine de