Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 154.djvu/910

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

passer lieutenant général et demeurait en sous-ordre. De plus, si l’armée du Centre était seule à agir offensivement, c’était elle qui aurait surtout et même uniquement l’occasion de se signaler ; c’est à elle seule que seraient accordés les honneurs, les récompenses, les faveurs.

Il convenait d’empêcher un parti doublement fâcheux en ce qu’il servait un homme auquel on eût aimé nuire, et qu’il était préjudiciable à qui l’on voulait favoriser. Pour cela, il était urgent d’avoir l’oreille du président du Conseil ; or la lettre de Dumouriez reçue le matin même donnait à Lauzun de grandes espérances à cet égard.

En homme toujours pressé d’aboutir, estimant d’autre part que là, plus qu’ailleurs encore, il était nécessaire de ne point perdre de temps, Lauzun adressa incontinent à Dumouriez une lettre longue, habile, pressante, destinée à jeter les premiers doutes dans l’esprit du ministre. Déjà, dans celle du 19, et alors qu’il savait seulement d’une façon vague les intentions du nouveau ministère, il avait abordé, par avance, le sujet qui lui tenait au cœur et déclaré que « nous n’avions d’autre parti à prendre que de réduire à une forte et excellente défensive les deux armées de MM. Luckner et de Lafayette et de faire refluer tout ce qu’il serait possible d’en tirer sur l’armée du Nord... Nous serions alors en mesure de déclarer au roi de Hongrie que nous désirions maintenir la paix, mais qu’à sa première réponse ambiguë... nous entrerions dans le Brabant... »

La lettre du 2 avril était plus catégorique : « Permettez-moi de vous dire, écrivait Lauzun, combien je suis étonné et affligé de la manière dont votre ministère me paraît avoir disposé de nos armées. Réduire celle du Nord à la défensive, s’ôter les moyens d’entrer dans le Brabant, si nous avons à nous plaindre des Autrichiens, les débarrasser de la nécessité d’y tenir une armée considérable, et tout cela pour renforcer notre armée du Centre, pour charger des opérations hostiles le moins expérimenté de nos trois généraux (car je ne pense pas que les plus chauds partisans de M. de Lafayette veuillent comparer ses talens militaires à ceux de MM. Luckner et Rochambeau), en vérité, mon ami, c’est ce que faisaient autrefois les maîtresses du Roi pour les favoris devenus généraux, il est impossible que de telles mesures inspirent la confiance et paraissent dictées par le seul amour de la chose publique. Réfléchissez-y, et beaucoup de raisons