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sous « l’égide de la Liberté, » quel coup d’éclat en Europe, quel coup de théâtre, quelle « réclame ! »

A partir des premiers jours d’avril, on voit cette illusion de Dumouriez de promener dans Paris des uniformes autrichiens s’élever chez lui à l’état de manie, d’idée fixe ; il en parle dans toutes ses dépêches ; il y revient à diverses reprises dans la même lettre.

« Faites passer les déserteurs tout équipés à Paris, écrit-il le 13 avril, et pour qu’ils soient parfaitement reçus, adressez-les de club en club, jusqu’à celui des Jacobins. Si, comme vous me l’assurez dans une de vos précédentes lettres, vous avez la possibilité de faire déserter une compagnie ou un escadron entier, nous sommes sûrs que cela nous produira deux bons effets. Le premier, d’encourager la Nation, parce qu’elle verra par expérience qu’elle peut espérer fondre cette grande armée par l’appât de la liberté et de l’aisance. Le deuxième est d’effrayer les généraux autrichiens en leur inspirant la méfiance contre leurs soldats. Comme les généraux sont des Allemands, brutaux et bêtes pour la plupart, ils croiront pouvoir arrêter la désertion en redoublant de sévérité et cette même sévérité augmentera la désertion. »

Un peu plus bas, toujours dans la même lettre, Dumouriez disait encore : « C’est dans vos lettres que j’ai conçu le plan de faire cette opération très en grand. Occupez-vous en sur-le-champ pour qu’avant huit jours nous puissions promener des Autrichiens dans Paris comme on va y promener des soldats de Châteauvieux. » Dans une autre lettre, Dumouriez revient encore à la charge : on sent qu’il entrevoit de plus en plus dans ce projet une source intarissable d’avantages, et qu’il tient absolument à en hâter la réalisation : « Tâchez, dit-il, de nous envoyer à Paris des uhlans et des Hongrois que nous puissions carrosser et promener comme les soldats de Châteauvieux... surtout envoyez-nous les déserteurs à Paris tout habillés, armés, montés surtout. S’ils peuvent être un peu nombreux... adressez-les de club en club. Il faut qu’on les voie à Paris, qu’on les y fête et que tous les papiers publics en retentissent. » Et du lendemain, 14 avril, six jours avant la déclaration de guerre : « Suivez très vivement le projet d’embauchage ; allez-y bon jeu, bon argent, d’après ma lettre d’hier matin. Le plus tôt que nous pourrons faire promener des uniformes au Palais-Royal sera le mieux... »

Dumouriez, à la fois madré et naïf, doué d’une imagination