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notre esprit et c’est le pli contracté par notre caractère. C’est donc qu’il y a une question qui prime toutes les questions d’enseignement et qui, suivant le mot de M. Lavisse[1], est la question essentielle : c’est la question d’éducation.

Y a-t-il une éducation au lycée, indépendamment de celle qui vient de la vie en commun sous une discipline ? C’est la coutume de prétendre qu’il n’y en pas, et que le lycée, admirablement outillé pour l’instruction, est sans influence éducatrice. Si l’on veut dire par là que l’Université n’a pas, en dehors du corps enseignant, un corps de fonctionnaires chargés de veiller à l’éducation, on a raison. Ce n’est pas le proviseur qui peut s’en occuper ; il a trop d’élèves pour connaître chacun d’eux ; il a trop de choses à faire, et trop de choses inutiles, pour ne pas succomber à la tâche ; obligé de répondre de l’enseignement des professeurs, de la bonne tenue des élèves, de la qualité de l’alimentation et de la régularité des dépenses d’économat, le pauvre homme s’épuise à la paperasserie. Les maîtres répétiteurs manquent de toute espèce d’autorité. Pour remédier à cet état de choses, M. Gabriel Monod, au cours de sa déposition devant la commission d’enquête, indiquait un moyen : ce serait d’appeler dans les lycées de l’État des ecclésiastiques afin de leur confier la surveillance. Le moyen serait sans doute excellent ; mais, puisqu’on ne l’emploiera pas, il est inutile d’insister. Il reste que l’éducation dans l’Université résulte de l’enseignement lui-même et que les seuls éducateurs y sont les professeurs.

Ce qui rend très difficile l’œuvre éducatrice du lycée, c’est la situation que notre état social crée à l’Université et dont on ne trouverait l’analogue dans aucun autre pays. En effet, une éducation suppose un principe d’éducation, et vaut ce que vaut ce principe. Pour agir fortement sur la volonté de l’enfant et pour le discipliner, il faut un ensemble de notions bien arrêtées, dont la force viendra tout à la fois de leur cohésion et de leur netteté. Il faut une doctrine. Or l’extrême division de notre société interdit à l’Université d’avoir une doctrine. Les enfans qui fréquentent le lycée appartiennent aux milieux les plus différens. Leurs familles ne s’accordent ni sur les questions religieuses, ni sur les questions morales, ni sur les questions sociales, ni sur les questions politiques, ni d’ailleurs sur aucune espèce de questions. C’est l’honneur de l’Université que des familles de toutes les origines et sans distinction d’opinions recherchent son enseignement.

  1. Pour les citations, se référer aux Procès-verbaux des dépositions faites devant la Commission d’enquête, 2 vol. In-4-(Motteroz).