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une véritable valeur éducative ? Je ne le crois pas. J’en aperçois une tout de suite, qui est celle même sur laquelle ont tant insisté les orateurs universitaires de cette année, et sur laquelle l’accord s’est donc fait de lui-même : c’est l’idée de patrie. Elle est la seule sur laquelle puisse se faire le consentement unanime, et la seule d’ailleurs qu’on ait le droit d’imposer. Il ne s’agit pas, bien entendu, d’engager le professeur à se livrer à une sorte de gesticulation patriotique. Il ne s’agit pas davantage qu’il admire béatement tout ce qui est français, uniquement parce que cela est français. Rien n’est plus facile que de raillerie patriotisme et je laisse ce jeu à ceux qui le trouvent spirituel. Ce que je veux dire, c’est d’abord que le patriotisme peut être enseigné et par conséquent qu’il doit l’être. Car j’imagine que le savant M. Dufayard ne tient pas beaucoup à la distinction subtile d’après laquelle le patriotisme chez nous aurait besoin seulement d’être « renseigné. » Mais ce qu’il importe surtout ici, c’est de montrer les services que peut rendre cette idée de patrie pour la formation des caractères.

L’idée de patrie développe en nous le sens de l’individualité dans la mesure et sous la forme où il est légitime. Rien de plus stérile que le culte du moi, si nous nous installons nous-mêmes dans un isolement superbe et illusoire. Mais chacun de nous est l’héritier d’une longue suite de générations et porte en lui l’âme qu’elles lui ont faite. La France n’est pas une abstraction. Elle occupe une place déterminée sur la carte du globe et dans l’histoire du monde. Son histoire a peu à peu façonné le génie qui lui est propre et qui s’est accusé en se différenciant du génie des autres peuples. Ce génie, ensemble de qualités et de défauts, est ce qu’il y a en chacun de nous de plus agissant. A poursuivre un idéal étranger, nous nous épuiserions en efforts inutiles. Mais stimuler notre énergie, l’exalter en la dirigeant, et lui faire produire avec le moindre effort la plus grande somme possible de résultats, c’est une vertu qui ne réside que dans un idéal français.

L’idée de patrie enferme pareillement cette notion d’obéissance, sans laquelle il n’y a pas d’éducation. Car nous sommes naturellement portés à nous réclamer de nos droits ; mais que ces droits s’accompagnent de devoirs, c’est ce que nous oublierions volontiers, si on n’avait soin de nous le rappeler. Nous sommes naturellement portés à rechercher la satisfaction de nos instincts, de notre commodité personnelle et de notre intérêt ; ce dont on a quelque peine à nous convaincre, c’est qu’il faille régler ces instincts, gêner cette commodité et céder une part de cet intérêt. Ce renoncement partiel devra, en certains cas, être poussé jusqu’à la complète abdication et jusqu’au