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aussi bien l’un de ceux qui ont le plus énergiquement réclamé en faveur des études grecques dans nos lycées. C’est ensuite fortifier notre originalité par opposition aux littératures qui, à la différence de la nôtre, ne se sont pas pénétrées des idées et de la forme gréco-latines. C’est enfin la protéger contre les infiltrations étrangères qui, si on ne leur opposait ce système de défense, auraient bientôt fait d’introduire le jargon dans notre langue et le chaos dans nos idées. Voilà pour le patriotisme, et voici pour la tolérance. Pour que le professeur donne un enseignement fort, efficace, il faut qu’il se sente libre, maître de tout dire, de pousser ses idées jusqu’au bout, de livrer le fond de sa pensée. Cette liberté, il peut l’avoir avec les textes antiques, il ne l’a pas avec les textes français eux-mêmes. C’est ce qui a été excellemment mis en lumière dans ce passage de la déposition de M. Brunetière : « Les textes qui servent de base à l’enseignement classique étant en général antérieurs au christianisme ont ce grand avantage de n’être pas confessionnels... Il est très difficile à un professeur impartial, mais qui pourtant a ses idées, ses convictions à lui, d’expliquer un peu à fond les Lettres provinciales. Il lui est encore très difficile de parler avec liberté de l’Histoire des Variations, très difficile également d’expliquer des textes de Voltaire, de Diderot, ou même la Profession du Vicaire savoyard. Vous mettez ce professeur dans une situation gênante ; il est exposé à chaque instant à faire appel aux passions qui commencent à se faire jour chez les élèves, ou à donner un enseignement qui blessera les familles. » Les auteurs allemands et anglais offrent les mêmes difficultés. Ils en offrent d’autres encore. Admirons-les donc, lisons-les, pratiquons-les plus que nous n’avons fait jusqu’ici ; mais ne fondons pas sur eux notre enseignement. Renoncer à la tradition universitaire telle qu’elle s’est d’elle-même établie, ce serait fausser l’esprit de l’Université, y faire souffler tous les vents de la dispute, et, en ouvrant les portes du lycée aux bruits de la mêlée contemporaine, y ruiner jusqu’à la possibilité d’une éducation.

A dessein, j’ai invoqué des témoignages émanant exclusivement d’universitaires, et groupé les noms de professeurs qu’on nous représente volontiers comme engagés dans des voies divergentes. J’ai voulu montrer ainsi que, sur les points essentiels, il y a accord dans l’Université, et qu’elle peut donc se mettre utilement à cette œuvre d’éducation par le patriotisme et par la tolérance, dont elle sent elle-même que le besoin est urgent. Car ce pays souffre d’un mal qu’il serait bien inutile de nier, puisqu’il crève les yeux : c’est la dissociation de nos forces, c’est la désagrégation sociale. Est-ce le résultat