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intérêts, je compte bien que vous ne perdriez pas votre temps en cette ville : mais il ne faut pas croire que cela soit aussi considérable que le voyage que vous pourriez faire très aisément d’ici en Angleterre, où vous êtes très connue et où on aime fort le portrait. »

Le fait est que la Rosalba se serait volontiers mise en route aussitôt, si son père, au même moment, n’était tombé malade. Le vieillard mourut le 1er avril 1719, à soixante-quatorze ans. Et c’est seulement l’année suivante, au printemps de 1720, que l’artiste partit de Venise, en compagnie de sa sœur Giovanna. Dans sa livraison de juillet, le Mercure galant put annoncer à ses lecteurs l’arrivée à Paris de la Rosalba, « peintre de grand renom en miniature et en émail. » Le Mercure ajoutait que Crozat l’avait fait venir de Venise à ses frais, ce qui n’était pas tout à fait exact : mais nous savons par son Journal quel somptueux accueil elle avait trouvé dans l’hôtel de la rue Richelieu, où tous les jours des dîners et des concerts étaient donnés en son honneur. Nous savons aussi les noms des personnages divers avec qui elle s’est liée durant son séjour à Paris : Watteau, Rigaud, Julienne, Caylus, l’abbé Delaporte, sans compter Mariette, qui devait devenir depuis lors son plus fidèle ami. Et nous savons que, si elle ne réalisa point son projet d’un voyage à Londres, son séjour à Paris fut en revanche pour elle infiniment plus fructueux que ne l’avait prévu le digne Crozat. Quand elle repartit pour Venise, le 15 mars 1721, après avoir peint d’innombrables portraits, elle emportait des commandes pour une année entière.

Mais de ces lucratives commandes aucune ne lui tenait autant à cœur que le pastel qu’elle devait exécuter comme morceau de réception pour l’Académie des Beaux-Arts, où elle avait été admise par acclamation, le 26 octobre de l’année précédente. Elle mit à ce pastel un soin infini, dont elle fut d’ailleurs récompensée par l’extrême succès qu’il obtint auprès des membres de l’Académie. Il est aujourd’hui au Louvre : on y voit une jeune fille qui, suivant l’expression de la Rosalba, « représente aussi une nymphe de la suite d’Apollon, présentant de sa part à l’Académie de Paris une couronne de laurier. »

Elle n’oubliait pas non plus les promesses faites à ses amis de Paris. « J’avais commencé quelques petites têtes pour M. Watteau, — écrit-elle à Vleughels en rentrant à Venise ; — mais des Anglais, que que la foire a attirés ici, et qui ne veulent pas partir sans avoir leurs portraits, m’ont empêché d’achever. « Hélas ! Watteau ne devait jamais voir ces « quelques petites têtes » commencées à son intention : trois mois après le départ de la Rosalba, il mourait, « le pinceau à la main »,