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de l’Europe, de ne pas s’immoler à la grandeur de l’Angleterre, et de travailler à côté d’elle, dans l’immensité de l’Afrique et de l’Asie, à ces mêmes œuvres où elle a trouvé sa grandeur et sa fortune. On dirait, à lire ses journaux, que les puissances du continent n’ont pas le droit d’être d’accord, et qu’elles ne peuvent l’être que contre elle. Si on s’est réuni à la Haye, c’est contre elle. Si notre ministre des Affaires étrangères est allé à Saint-Pétersbourg, c’est contre elle. Si l’empereur Guillaume a visité un de nos vaisseaux, c’est encore et toujours contre elle ! En vérité, s’il ne s’agissait pas d’une puissance aussi robuste, nous dirions qu’il y a quelque chose de maladif dans une préoccupation aussi incessante, et qui trouve partout matière à s’exercer. Qui aurait cru que l’inoffensif voyage de M. Delcassé serait l’objet de tant de commentaires, et qu’il nous amènerait nous-mêmes à nous y livrer si longuement ?


On a vu que, pour le Standard, la Conférence de la Haye n’a pas été exempte de quelque méchante intention à l’égard de l’Angleterre. Certes, il n’en est rien ; mais peut-être la situation nouvelle de l’Europe, telle que nous l’avons définie, a-t-elle été pour quelque chose dans la pensée qu’a eue l’empereur Nicolas d’alléger les charges militaires qui nous écrasent tous d’un poids d’autant plus lourd qu’il est vraisemblablement inutile. N’est-il pas, en effet, peu illogique d’entasser tant d’armemens avec le ferme propos de ne pas s’en servir ? Mais si telle a été vraiment l’idée première de l’empereur de Russie, il n’a pas tardé à s’apercevoir qu’il avait fait fausse route, et que les puissances militaires, quelque pacifiques qu’elles soient, ne sont pas du tout disposées à désarmer. Il a été évident, avant même que la Conférence de la Haye fût réunie, qu’elle ne ferait rien de bien sérieux sur ce point spécial, et que les armemens de l’Europe resteraient le lendemain de sa clôture ce qu’ils étaient la veille. Il en a effectivement été ainsi : mais cela ne veut pas dire que l’œuvre de la Haye ait été stérile. Le but que s’était proposé l’empereur Nicolas était si haut qu’on pouvait s’élever beaucoup tout en restant en deçà.

Le jour de la clôture de la Conférence, quelques discours, suivant l’usage, ont été prononcés. Le président, M. de Staal, premier délégué de la Russie, a reconnu que l’œuvre accomplie n’était pas aussi parfaite qu’on aurait pu le désirer, mais il a ajouté qu’elle était « sincère, pratique et sage, et qu’elle conciliait les deux principes qui sont la base du droit des gens : la souveraineté des États et la solidarité internationale. » M. de Beaufort, ministre hollandais des Affaires