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leurs possessions ; nous voudrions seulement ne pas perdre les nôtres ; nous ne voulons pas, d’autre part, nous contenter d’un simple domaine nominal, comme celui du Kanem, du Ouadaï, du Borgou et du Baghirmi. Le Transsaharien ne serait pas seulement pour nous un instrument essentiel de lutte, il constituerait un porte-respect. Nous avons la certitude qu’une fois pourvus de cet outil, nous trouverions l’Angleterre beaucoup plus courtoise et plus cordiale dans les démêlés qui pourraient surgir entre nous.

Le projet du Transsaharien doit donc rallier l’adhésion de tous ceux que l’on appelle les coloniaux, de tous ceux aussi qui ont la fibre patriotique un peu sensible, et enfin des sages et des gens paisibles qui pensent que la France peut accomplir, pour la mise en exploitation d’un bloc important de continent, une grande œuvre, comme le fait, sur deux théâtres différens. une nation infiniment moins riche que n’est la nôtre, la Russie.

Il ne nous en coûterait que la dixième partie de ce que la Russie dépense dans ses deux lignes ferrées transcaspienne et transsibérienne. Avec 230 à 250 millions, peut-être moins, une pure bagatelle, on aurait exécuté une entreprise dont les conséquences militaires et politiques sont immenses et certaines, et dont les effets économiques seraient vraisemblablement considérables. Etrange puérilité de nos hommes d’État et incroyable routine de notre opinion publique ! Nous voulons nous épuiser, par crainte d’un conflit avec l’Angleterre, en constructions de cuirassés qui, le jour d’une déclaration de guerre avec la Grande-Bretagne, seraient complètement inefficaces et n’auraient guère d’autre ligne de conduite à suivre que de se tapir prudemment et patiemment dans nos ports. Nous gaspillons des centaines de millions en armemens maritimes où nous reproduisons exactement la fable de la grenouille et du bœuf. Et tandis que nous nous livrons à ce jeu coûteux et stérile, nous dédaignons et nous repoussons le seul instrument, le chemin de fer transsaharien, qui nous mettrait en état de lutter victorieusement avec la Grande-Bretagne ; qui ne coûterait pas plus qu’une douzaine de cuirassés, et qui enfin à son utilité politique et stratégique de premier ordre, joindrait des avantages économiques et coloniaux des plus importans !

Pour que cette apathie ne fût pas coupable, il faudrait que le Transsaharien apparût comme une œuvre impossible. Tout démontre,