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Ce sont des motifs analogues qui ont incité les Russes à demander au mois de mai dernier la concession d’une ligne reliant leur réseau de Mandchourie à Pékin, d’intérêt commercial très médiocre aussi, et d’exécution coûteuse, quoique moins difficile que la ligne anglaise du Yunnan. Partant des environs de Moukden, grossièrement parallèle à celui de Tientsin à Newchwang, mais beaucoup plus à l’intérieur, ce chemin de fer aurait ouvert aux Russes vers la capitale de la Chine une voie d’accès à l’abri des entreprises d’une flotte ennemie, construite au même écartement de rails que le Transsibérien, et susceptible d’être parcourue par le matériel roulant russe. Devant l’opposition très vive de l’Angleterre, la Russie, ne voulant pas précipiter un conflit, paraît sinon avoir retiré sa demande, du moins l’avoir transformée en la simple revendication d’un droit de préemption sur une ligne allant directement à Pékin, si jamais le Fils du Ciel devait en concéder une.

Les projets de chemins de fer à établir en Chine sont innombrables : cinq provinces, la Ngan-hoëi, le Kiang-si, le Setchouen, le Fokien, le Kouï-Tchéou, le Kan-Sou, ne sont pas encore touchées par les concessions actuelles ; les trois premières, arrosées par le Yang-tsé et ses affluens, sont très riches : le Setchouen grand comme les quatre cinquièmes de la France, contiendrait à lui seul 67 millions d’habitans, plus qu’aucun État d’Europe à l’exception de la Russie. Les voyageurs qui l’ont visité, — entre autres les membres de la mission envoyée en Chine par la Chambre de commerce de Lyon, qui l’ont spécialement étudié, — font le plus grand éloge de ses immenses ressources : ses plaines sont couvertes de mûriers, ses montagnes contiennent les minerais les plus divers, ses bassins houillers s’étendraient sur 250 000 kilomètres carrés, la main-d’œuvre y est surabondante. Mais il est privé de bonnes voies de communications avec le dehors par les rapides qui interrompent le cours du Fleuve Bleu entre son port de Choungking et celui d’Itchang, et qui ne peuvent être franchis que par les jonques. La construction d’un chemin de fer vers le Setchouen paraît donc tout indiquée : la solution naturelle serait de relier Chung-King ou la capitale de la province, Ching-tou, au Yang-tze moyen. On a parlé aussi de prolonger vers le haut Yang-tze notre chemin de fer du Yunnan. Mais, pour atteindre par là les régions productives du Setchouen (dont l’ouest n’est qu’un gigantesque amas de montagnes désertes), il faudrait construire au