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pression du dehors. Sans doute l’ère des faux-fuyans d’un côté et des menaces de l’autre n’est pas complètement close ; sans doute aussi, en dépit des réformes qu’ont obtenues et que pourront encore exiger à l’avenir les Européens, il restera aux mains grasses des mandarins une part des bénéfices que produira la transformation de la Chine. Mais si le progrès se trouve parfois un peu ralenti du fait des résistances, qui ne seront plus désormais que temporaires, du gouvernement chinois, ce sera un moindre mal que son introduction trop brusque et les troubles qu’elle entraînerait.

Trop faible pour résister longtemps aux demandes des étrangers, mais servant utilement de tampon, de coussin élastique interposé entre leur activité parfois brutale, peu ménagère des transitions, et le conservatisme du peuple chinois, le gouvernement de Pékin joue un rôle des plus utiles. S’il cessait d’exister, dira-t-on peut-être malgré tout, les choses iraient plus vite. On oublie qu’une absolue anarchie lui succéderait, qu’on ne voit pas aisément comment ni quand on y mettrait fin et comment une puissance européenne s’y prendrait pour gouverner une ou deux centaines de millions de Chinois. Les pertes qu’en- traînerait le rétablissement d’un régime stable, celles que nécessiterait la répression de troubles trop fréquens dépasseraient certes celles qui peuvent résulter d’une certaine lenteur dans le progrès sous le régime actuel.

Au bout d’un certain temps d’initiation, il est possible d’ailleurs que la marche en avant s’accélère. Quand la masse chinoise aura été mise en contact avec les résultats du progrès occidental, son bon sens pratique l’y convertira peut-être. C’est sur lui, c’est sur son esprit de lucre et de négoce, sur son instinct commercial à développer, qu’il faut compter pour convertir à la culture européenne le plus réaliste, le plus dépourvu d’idéal de tous les peuples. Les chemins de fer seront en Chine les meilleurs missionnaires de la civilisation.


PIERRE LEROY-BEAULIEU.