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plus d’attaches avec les Bourbons, aillent tous à la guerre, étant entendu qu’ils auront promis au gouvernement fidélité et obéissance… Le gouvernement, messieurs, est résolu à les employer tous sans distinction de parti. Vous me direz que nous avons peu l’instinct de la conservation. Et moi je réponds que, dans des conjonctures aussi graves, la nécessité est la loi suprême ; je déclare que, quand même la nécessité ne m’y obligerait pas, en dépit des exemples que nous offre notre histoire, en dépit de toutes les raisons que vous pourriez invoquer, je crois à la parole d’honneur des généraux espagnols… S’il y a un risque à courir, j’aime mieux me fier à la loyauté de caballeros espagnols que de voir don Carlos aux portes de Madrid…

Enfin, que faut-il encore ? Il faut que la constitution et les droits individuels ne nous lient pas les mains pour détruire les affiliations qui alimentent la conspiration théocratique. En conséquence, nous vous apporterons un projet de loi tendant à remettre en vigueur la loi dite d’ordre public, et à déclarer l’état de siège dans tout le pays menacé, afin qu’il ne soit plus possible d’ouvrir impunément des souscriptions en faveur des carlistes.

Eh quoi ! nous nous exposerions à périr, par un respect scrupuleux des principes, dans des circonstances si anormales ! Où donc avez-vous vu faire la guerre de cette façon ? Messieurs, s’il m’était permis de rappeler ici les légendes glorieuses de la démocratie, qui ont tant de fois bercé nos rêves, je vous dirais : Est-il une figure plus vénérée au monde que ce Lincoln, qui semble être venu sur la terre pour accomplir les promesses de l’Évangile ? Figure étrange, destinée prodigieuse ! Voyez-le, le pauvre enfant du désert, l’humble bûcheron, le marinier de l’Ohio et du Mississipi : il monte au Capitole de Washington, il fait tomber les chaînes de l’esclave, et marque sa place dans l’histoire au nombre des grands rédempteurs. Eh bien ! comment a procédé Lincoln ?

Dès l’abord, sans consulter le Congrès, il suspend l’Habeas Corpus, il pénètre dans la demeure des citoyens ; sans consulter le Congrès, il disperse à main armée les meetings et déporte les orateurs esclavagistes ; sans consulter le Congrès, oui ! sans le consulter, il poursuit toute publication défendant l’esclavage, confisque les biens des complices de la Sécession qui ont dans les États du Nord plus de 20 000 douros de propriétés ; la peine de mort frappe tout soldat rebelle ou indiscipliné. Or, je le demande : Lincoln aujourd’hui est-il à vos yeux l’homme des confiscations, le despote qui bâillonnait la presse et violait le domicile des citoyens ? Est-ce sous ces traits qu’il passe à la postérité ? Ces misères de la réalité, inévitables surtout dans les temps de guerre, elles se sont effacées ; et l’âme de Lincoln plane aux cieux, sur ses ailes de lumière, parmi les héros, les martyrs, les rédempteurs du genre humain.

Et nous aussi, Messieurs, nous allons faire tout ce qui sera indispensable pour la guerre, mais en consultant le Congrès ; mais en lui demandant son autorisation, sa sanction. Je n’aurai recours à aucune mesure exceptionnelle qui n’aura pas été autorisée par les Certes. Mais je déclare aussi que, si je n’obtiens pas cette autorité légale dont j’ai besoin pour me défendre, pour défendre la démocratie, la liberté, la République dans la crise la plus grave de notre temps, n’ayant pas le pouvoir d’agir, je ne veux point avoir la responsabilité.