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quelque temps, même assez longtemps, un allié. Ce qu’était, en réalité, cette évolution, qui n’a pas été bien comprise de tous, M. Charles Benoist l’a déjà fait connaître ; et ce côté ou, à parler plus exactement, ce résultat presque fatal de la politique de Castelar, il l’a décrit et caractérisé, ici même, en quelques pages d’une analyse si sagace, si vraie, qu’il reste après lui peu de chose à en dire[1].

Il me semble que l’on peut distinguer, dans les rapports de Castelar avec la monarchie restaurée en 1874, trois phases très différentes. Dans la première, qui comprend la majeure partie du règne d’Alphonse XII, il se montre, à l’égard du nouveau régime, l’opposant irréconciliable qu’il fut jadis au temps de la reine Isabelle ; mais son opposition, à la bien regarder, est de nature tout autre. Non seulement il entre dans cette opposition calme, mesurée et grave, beaucoup de légalité ; mais il y entre aussi beaucoup de résignation. Il ne songe pas, comme autrefois, à renverser cette monarchie. D’abord, il sent bien qu’elle est là pour longtemps, que, par suite, il ferait œuvre vaine. Et puis qu’adviendrait-il si la dynastie des Bourbons reprenait encore le chemin de l’exil ? Dans quel abîme ce malheureux pays serait-il plongé de nouveau ? La cruelle expérience a pour toujours instruit Castelar. Il ne fera plus d’agitation ; il se gardera bien de passionner les foules ! Il sait, hélas ! où cela mène. Le tribun, désormais assagi, se renferme dans un rôle de défense et d’expectative. Il espère beaucoup de l’action du temps. Il prévoit que la dictature ne pourra durer. En attendant, il lutte pied à pied, surtout dans les mois qui suivent sa rentrée aux Cortès, pour sauver, s’il se peut, les plus précieuses des libertés conquises par la Révolution de Septembre, et, en premier lieu, cette liberté religieuse qui avait si longtemps manqué à l’Espagne[2]. Plus tard, la réaction perdant du terrain, il ira de l’avant, il s’efforcera de ressaisir une à une ces libertés auxquelles il a voué sa vie, et de les faire entrer dans le cadre de la constitution monarchique. De cette royauté qui devient, d’année en année, plus libérale, il finira par obtenir la plus considérable, la plus redoutée peut-être des réformes, le rétablissement du suffrage universel.

  1. Vingt ans de monarchie moderne en Espagne. Revue du 1er octobre 1894.
  2. Discours du 9 mai 1876. C’est, à ma connaissance, le seul de ses discours politiques qui ait été traduit en français. Le traducteur était M. Gérard, aujourd’hui ministre de France à Bruxelles, In-18, Paris, 1876.