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Nous abordons ici la seconde phase, celle de la Régence, au moins les dix ou onze premières années, et nous assistons en même temps à la grande évolution qui, par degrés presque insensibles, mais sûrement et, je le répète, presque fatalement, le rapproche de la monarchie. Mais, au fait, cette évolution, est-ce Castelar qui l’accomplit ? Est-ce lui qui change ? N’est-ce pas, au contraire, la royauté, dont le décor mouvant se transfigure et marche à sa rencontre ? Ce fut la nouveauté très hardie de la Régence d’alors de faire de l’antique monarchie des Bourbons un régime qui, si l’on excepte l’hérédité de la fonction suprême, ressemblait étrangement à une république. Il donnait, en fin de compte, à Castelar les institutions pour lesquelles celui-ci avait tant lutté. Il y manquait, à la vérité, l’institution d’un chef d’Etat temporaire, électif. Si haut qu’en fût le prix, fallait-il, pour l’avoir, tout remettre en question ? Castelar ne le pensa pas. Il avait inscrit sur sa bannière une formule significative : il s’était déclaré possibiliste, c’est-à-dire résolu à se contenter du possible. Et voilà comment, voilà pourquoi l’adversaire d’autrefois allait modérant et atténuant son opposition, jusqu’à la transformer en une neutralité bienveillante, qui était bien près d’être une alliance sinon même un concours actif, — cette neutralité dont il avait tracé jadis les conditions, sous le règne déjà lointain d’Amédée, dans le discours célèbre de la benevolencia.

Le jour où Castelar se vit si rapproché de la monarchie que leurs bannières se touchaient presque, il comprit qu’il avait atteint aux limites extrêmes de la tâche qu’il lui était donné d’accomplir sous la Restauration. Le 7 février 1888, dans un discours inoubliable, le grand orateur fit ses adieux à la tribune des Cortès. C’était au cours du débat sur la politique générale, lequel suivait la lecture du message de la couronne ; débat qui se renouvelait, chaque année, solennel ; pompeux tournoi académique, où les chefs parlementaires venaient tour à tour rompre des lances. Après avoir étudié, discuté la situation de l’Espagne au dehors et au dedans, Don Emilio, par un retour sur lui-même, en vint à déclarer qu’il « appuyait » le gouvernement de la monarchie, parce qu’elle lui donnait les grandes libertés dont il avait fait les revendications de son programme, parce qu’il ne croyait plus, comme il l’avait cru jadis et si longtemps, que démocratie et monarchie fussent, par leur essence, inconciliables. Il ajoutait : « J’ai dit aux miens, qui ne m’ont pas écouté, dans certaine nuit