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qui M. Sagasta tenait des portefeuilles prêts, et par exemple, M. de Abarzuza, lequel devint un peu plus tard ministre des colonies (Ultramar) et fut à Paris, l’an dernier, l’un des plénipotentiaires chargés de régler avec les États-Unis les conditions de la paix. Castelar, cependant, s’effaçait ; mais, en réalité, jamais peut-être son crédit politique n’avait été plus grand ; et, par suite, rien de plus erroné que certain propos qu’il m’est arrivé, vers la même époque, d’entendre redire chez nous avec complaisance : « Castelar est devenu un Jules Simon espagnol » ; mot qui avait la prétention de faire coup double, mais qui, désobligeant pour ces deux hommes illustres, d’ailleurs si dissemblables, n’était exact ni pour l’un ni pour l’autre. La vérité est que Don Emilio tirait du fait de son isolement volontaire, de son simple et fier désintéressement, de son attitude si réservée à l’égard de la Régence — et de la Régente elle-même, — un prestige que ne cessait d’accroître son prodigieux labeur d’écrivain.


IV

Et en effet jamais peut-être il n’avait tant écrit que durant ces années de la Restauration, lesquelles lui auront été, tout mis en balance, des années heureuses, très douces et très belles. La vieillesse était encore loin, et, au fait, elle n’est jamais venue pour ce merveilleux esprit qui devait rester vaillant, agile, infatigable jusqu’au dernier jour. Il est vrai que cette histoire de l’Espagne qu’il avait promise, du haut de la tribune, à son pays, il ne la pas donnée ; mais pouvait-il bien la donner ? N’était-il pas trop orateur, trop poète, surtout trop improvisateur, pour être historien ? Et si nous n’avons pas, en son unité, en sa suite imposante, l’œuvre qu’il avait sans doute entrevue dans ses rêves, ne nous laisse-t-il pas quelques-uns des chapitres les plus nobles de cette histoire ? Ne les retrouve-t-on pas épars dans la série presque innombrable de ses écrits, qu’il a livrés à tous les vents du ciel, comme il a fait de tous ses dons, de son éloquence, de son immense savoir, de sa haute et poétique imagination ?

Son roman historique, El Suspiro del Moro, dans lequel le grand drame national, la reconquista, c’est-à-dire la reprise du sol d’Espagne sur les Maures, revit avec une intensité de couleurs incomparable, sa vaste chronique de la découverte du nouveau monde, El descubrimiento de America, qu’il aurait pu intituler plus justement :