Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 155.djvu/170

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

atteinte. Ses forces déclinaient ; il perdait peu à peu sa belle humeur, sa verve de causeur brillant et abondant ; il se taisait. Sa physionomie, naguère enjouée et souriante, était comme obscurcie d’une ombre de tristesse. L’assassinat de Canovas, qui était à la fois son adversaire politique et son ami de jeunesse, l’avait cruellement affecté. Puis vinrent les désastres, où sombrait la fortune coloniale du pays, et qui accablèrent son âme de patriote. On devina, on sut bientôt que Castelar était miné par un mal dont seul peut-être il ne soupçonnait pas encore la gravité. Il était déjà fort malade lorsqu’il avait écrit l’article contre la Régente. Cet hiver, il fut quelques jours entre la vie et la mort. Lui-même commençait à sentir qu’il ne guérirait pas et que les jours lui étaient comptés qu’il avait encore à passer sur cette terre ! Il disait à un de ses chers amis : « Je ne vivrai pas jusqu’au mois de mai. » Il le vit fleurir néanmoins, ce mois de printemps qui allait être le mois de sa mort ; il eut la satisfaction d’être réélu député à Murcie, puis de recevoir du parti républicain un suprême témoignage d’affection et de vénération. Ses amis et, comme on dit là-bas, ses « coreligionnaires » politiques avaient décidé de lui faire parvenir une Adresse, qui se couvrit de cent mille signatures. La présentation de cette Adresse eut lieu le 5 mai dernier. Ce soir-là, la calle de Serrano offrait une animation inaccoutumée. L’appartement de Castelar était envahi par la foule des admirateurs et des partisans qui se pressaient autour de la députation chargée de lui remettre le « Message. » Il y répondit, et ce fut un spectacle émouvant quand il prit la parole. On avait peine à reconnaître l’ancien tribun dans ce vieillard si faible, si décharné, qui n’était plus que l’ombre douloureuse du Castelar que l’on avait connu ! Il lut son discours, qui était un discours-programme, où il déclarait que, en présence de la réaction qui redevenait maîtresse, il était résolu à rentrer sur la scène. Dans cette allocution, il traçait un tableau fort assombri de la situation politique ; il dénonçait l’influence du clergé, sa mainmise sur l’enseignement public, le mystère inquiétant dont s’enveloppaient les gouvernans, et prononçait cette grave parole : « Ne trouvez-vous pas que l’heure présente ressemble beaucoup aux temps qui ont précédé la Révolution de Septembre ? » Il terminait en rappelant une dernière fois les termes de son programme historique : « Jeunes gens, dit-il, écoutez un vieillard, que les vieillards écoutaient alors qu’il était jeune. Abandonnez toute idée de fonder