Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 155.djvu/189

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Janin, dans le Journal des Débats. « Il faut un grand mérite, écrivait Hippolyte Lucas, pour soulever avec la seule force des idées l’enthousiasme d’une salle entière. » « Prodigieux succès ! constatait Charles Magnin dans la Revue des Deux Mondes. » Et Jay, dans le Constitutionnel, terminait ainsi le dernier des quatre longs articles qu’il consacrait à Lucrèce : « Ce serait un double honneur pour la mémoire de cette illustre Romaine que son nom se trouvât attaché à deux grandes révolutions, l’une politique à Rome, l’autre littéraire, à Paris. »

Ce n’est pas que, après avoir reconnu le triomphe de Lucrèce, ces critiques fussent unanimes à le proclamer « mérité. » La plupart faisaient même d’assez nombreuses réserves. Les uns blâmaient les vers, tout en rendant hommage à la vérité des peintures, tandis que d’autres déclaraient les vers excellens, et au contraire blâmaient la fausseté des peintures. Mais le plus curieux de ces premiers jugemens porté sur Lucrèce est à coup sûr celui de Théophile Gautier, qui écrivait dans la Presse du 2 mai :


Les éloges donnés à M. Ponsard ont naturellement amené d’amères critiques contre Victor Hugo ; et les articles faits sur Lucrèce sont consacrés en grande partie à de violentes diatribes contre l’auteur de Ruy Blas, de Marion Delorme, des Orientales, et de tant d’autres chefs-d’œuvre qui resteront dans la langue comme des monumens. L’on est toujours bien aise de saper un homme de génie avec un homme de talent. C’est une tactique qui, pour n’être pas neuve, n’en est pas moins habile, et qui, temporairement, produit toujours un certain effet. Il s’est trouvé des critiques qui ont loué M. Ponsard de manquer de lyrisme, d’imagination, d’idées et de couleur, et l’ont félicité surtout de ses qualités négatives. Nous croyons que le jeune poète sera peu flatté de ces complimens étranges, dictés par une haine aveugle contre un auteur illustre qui possède ces défauts au plus haut degré.


Théophile Gautier avait raison d’affirmer que de tels complimens devaient cruellement déplaire au poète de Lucrèce. Mais ce qui rend cet article si curieux pour moi, c’est que je n’ai absolument pas pu arriver à comprendre à quelles critiques Gautier faisait allusion. J’ai compulsé tous les journaux de l’époque, du moins tous ceux que possède la Bibliothèque nationale, et je dois déclarer que je n’ai pas découvert même l’ombre de ces « étranges complimens. « Tout au plus Gautier a-t-il pu lire, dans l’article d’Hippolyte Lucas, qu’on ne devait pas abuser au théâtre de la couleur locale. Ponsard n’ayant point eu la précaution de publier sa