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plus propices, observait avec stupeur que le transport d’un quintal coûte aussi cher entre Foggia et Naples qu’entre New-York et Naples, et demandait à l’Italie si le passage de l’Apennin devait être plus onéreux que celui de l’Océan.

Mais les charmes de Naples, une ville qui plaît trop pour qu’on n’aime point à lui plaire, ne peuvent prévaloir contre la déviation définitive de certains courans économiques ; le versant oriental de l’Apennin, que les trains express, impérieux traits d’union, rattachent directement aux provinces du nord, subit la suzeraineté de ces provinces ; jusqu’au fond de la terre d’Otrante, les journaux de Milan distancent et éconduisent les journaux de Naples, en dépit des nouvelles lignes de chemins de fer qui, bravant les abruptes murailles de la Basilicate, s’évertuent à relier directement avec Naples le talon de la botte italienne ; le nord et le sud-ouest luttent de vitesse, d’habileté, de bonne fortune, pour la conquête du sud-est ; et dans cette lutte, en général, c’est le nord qui est vainqueur. Il n’y a pas eu échange, contact réciproque, compénétration, entre le sud-est de l’Italie et le reste du royaume ; il y a eu, plutôt, mainmise de l’Italie unitaire sur la région du sud-est : mainmise économique (car l’Italie a supprimé une partie des sources de richesse qui existaient dans ces parages, et elle en a introduit de nouvelles) ; mainmise politique (car les destinées du sud-est ont été subordonnées aux visées et aux maximes de la Triple Alliance, qui dictaient les visées et les maximes de l’Italie).

Quels ont été, au cours du dernier quart de siècle, dans cet ensemble de provinces qu’on appelle les Pouilles, les effets de cette double mainmise, c’est ce qu’il nous paraît intéressant d’observer, ne fût-ce que pour nous expliquer, en retour, de quel poids commencent à peser les revendications des Pouilles dans les conseils politiques de l’Italie.


I

Non loin de la cathédrale de Bari, une courte ruelle, se glissant indiscrète entre quelques masures, étonne l’étranger par la singularité de son nom : elle s’appelle « rue Laisser faire à Dieu, Lasciar fare a Dio. » Il semble qu’en dénommant cette ruelle on ait voulu définir l’indigène du sud-est et résumer d’un mot la philosophie de son existence, philosophie trop courte ou bien au