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de fossoyeurs, patronnées l’une par saint Roch et l’autre par saint Etienne, avaient le privilège de surveiller les fosses et de mesurer le grain ; chacune comptait 26 membres, 2 sous-caporaux, 2 caporaux, 1 scribe ; et cette organisation presque militaire était sous la surveillance de trois députés, dont deux étaient élus parmi les producteurs ruraux, et le troisième parmi les commerçans. Le propriétaire qui louait une fosse pouvait choisir, dans l’une ou l’autre des compagnies, l’auxiliaire qui lui plaisait ; mais le salaire tombait dans la caisse de la corporation, et c’est la corporation même qui répartissait entre ses membres les sommes payées par les propriétaires pour l’entretien des fosses et le mesurage du grain. Elle n’oubliait ni les veuves, ni les vieillards, ni les travailleurs condamnés au chômage : la famille du plus modeste fossoyeur avait droit, s’il mourait, à toucher, un an durant, la portion des recettes communes que, de son vivant, lui-même aurait perçue ; et les journées de maladie étaient payées au même taux que les journées de travail : « tout cela, expliquait le règlement, afin de maintenir très vif le sentiment de la probité dans une classe aussi importante. » C’était la première préoccupation des pouvoirs municipaux de protéger, parmi ces fonctionnaires du grain, un esprit de corps qui était un gage d’honnêteté, et de maintenir la coexistence de leurs deux compagnies sans exciter entre elles la concurrence et sans permettre que les salaires tombassent au rabais.

Lorsque le Tavoliere devint « libre », il n’y eut aucune famille aisée de la Capitanate qui ne rêvât de jouer un rôle dans le commerce des grains. Le mot de liberté, prestigieux en lui-même, exerce une fascination plus raffinée lorsque les échos qui le répercutent répondent par le mot de richesse. A voir les faits d’un peu près, même parmi les peuples qui se targuent d’avoir été le plus « libéraux, » c’est surtout comme avant-courrière d’une richesse promise que la conquête de la liberté fut la bienvenue : on commence, pauvre encore, par aimer la liberté, et l’on finit, devenu riche, par s’éprendre du libéralisme, qui en est l’abus. Il advint en Pouille qu’une petite oligarchie, applaudissant à l’affranchissement du Tavoliere, s’occupa tout de suite d’en profiter. La Pouille, terre de pâtures, se peupla de céréales ; les moutons de la Capitanate, qui jadis atteignaient le chiffre de 1 million et demi, tombèrent, peu à peu, au chiffre de 230 000 ; les bois, qui occupaient encore, en 1886, 45 000 hectares, furent progressivement