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sacrifiés pour faire place aux moissons ; dix-huit ans suffirent pour que la moitié d’entre eux fussent déracinés ; tantôt avec l’assentiment de l’Etat, tantôt avec la complicité de l’incendie, on poursuivit les déboisemens avec frénésie ; sur 100 permissions de déboiser données par le pouvoir central, 63 avaient trait à la Pouille, et dans la statistique des contraventions forestières du royaume, les contraventions commises en Pouille figuraient pour un quart.

On recueillit en revanche, dans la seule Capitanate, une récolte annuelle de plus de 2 300 000 hectolitres de froment. Les blés appellent l’homme : antidote contre la faim, on aime à les avoir pour voisins ; et malgré la disparition d’un certain nombre d’habitans qu’occupaient les travaux de pâture, la foule humaine grossit en Pouille, à mesure que le bétail diminuait ; de 1860 à 1881, la Capitanate s’accrut de 40 000 habitans ; Barletta, Manfredonia, exportaient en France, en Angleterre, en Belgique, le grain nourricier ; les trois quarts du blé qu’expédiait l’Italie venaient des Pouilles ; les fabriques de pâtes alimentaires de Naples, d’Amalfi, de Gênes se pourvoyaient dans la région de Foggia ; le quintal de blé se vendait, en mai 1873, de 40 à 42 francs. On voulait tout planter en blé, même les larges sentiers (tratturi) par lesquels descendait encore une certaine quantité de bétail ; on criait haro sur les pauvres moutons qui se permettaient toujours de briguer l’hospitalité des Pouilles, et l’on réclamait tout au moins, pour compléter l’invasion des céréales, que ces bestiaux importuns descendissent des Abruzzes, non plus par les tratturi, mais dans des wagons de chemin de fer.

Le progrès, survenant, commença de chasser le pittoresque : il éconduisit les moissonneurs, qui gagnaient peu d’ailleurs ; mais encore ce peu était-il trop, puisque en douze heures, pour 10 francs, la moissonneuse à vapeur pouvait tondre une superficie de 4 hectares et que 8 machines humaines, se traînant tout le jour sur les sillons, ne pouvaient pas, si haletantes fussent-elles, mettre à nu plus d’un hectare. Puis à leur tour, dans la ligne de retraite des moissonneurs, s’engagèrent ces vagabonds de l’agriculture qu’on appelait les terrazzani : prêts à tous les métiers, même au travail sédentaire, tantôt charretiers et tantôt chasseurs, souvent coureurs de champignons et quelquefois coureurs de bourses, s’attachant, de temps à autre, à l’exploitation d’un petit domaine (versura), et la poursuivant durant une année