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pour améliorer leur situation. Ils ne peuvent obtenir que des résultats très faibles. Avec le développement de l’industrie s’accroît en effet la puissance capitaliste. « L’armée de réserve industrielle » pèse fatalement sur les salaires. Les Trades Unions anglaises, si riches et si prospères, semblent réfuter, il est vrai, cette théorie. Mais Engels explique leur prospérité par des circonstances exceptionnelles et passagères. Longtemps les démocrates socialistes ne poursuivirent donc dans les syndicats d’autre but que l’agitation. Il s’agissait d’éclairer les ouvriers, de gagner au socialisme les couches populaires qu’on ne pouvait conquérir par la politique, et de faire des organisations ouvrières autant de champs de manœuvres pour le combat de classes.

La lutte de classes se rattache à la théorie de la concentration des industries et des capitaux. Le marxisme aiguise ce combat et le simplifie : capitalistes et prolétaires, exploiteurs et exploités, se dressent les uns contre les autres, comme des ennemis implacables, pour une guerre d’extermination. Les classes moyennes, vouées à la ruine, sont tenues pour quantité négligeable.

De la formule unilatérale du combat des classes découle une théorie radicale de l’Etat.

L’État n’est que l’action réflexe, l’organisation de la classe exploitante, pour protéger ses conditions extérieures de production par la force, pour contenir et contraindre la classe asservie. Fortifier la puissance de l’Etat, c’est pour le prolétariat affaiblir sa propre position. La bureaucratie et surtout l’armée assurent la souveraineté économique de la bourgeoisie. L’armée n’est qu’une gendarmerie au service du capital, qui maintient le prolétariat sous le joug du salaire.

Foncièrement hostile à l’Etat et à l’armée, le marxisme l’est également à la patrie, par les mêmes déductions logiques. Les conflits d’intérêts des nations ne sont, en effet, que le combat d’âpre concurrence entre les classes capitalistes de chaque pays en particulier. Les oppositions nationales n’existent pas pour le prolétariat. L’exploitation capitaliste écartée, cette concurrence cessera, car la consommation déchaînée des masses écartera toute difficulté d’écoulement des marchandises, toute recherche de débouchés. Le prolétariat d’un pays est naturellement l’allié de celui des autres pays : ils doivent donc s’unir. Dans tous les pays à mode de production capitaliste, il n’y a qu’un ennemi, la bourgeoisie.