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1848, voire les hommes de la Commune, et à quel point ils oublièrent aisément, pour la plupart, leur ancienne clientèle. Dans nos démocraties, les corps élus, les pouvoirs publics manifestent une tendance invincible à la corruption.

Les difficultés économiques qu’une dictature du prolétariat rencontrerait devant elle, seraient insurmontables, et ne lui permettraient même pas d’exercer une action politique. On se trouverait en présence d’un problème insoluble. Le marxisme, remarque M. Bernstein, ne tient pas compte de l’importance de l’espace et du nombre dans la politique sociale : ce qu’on pourrait, à la rigueur, réaliser dans une petite commune, deviendrait impossible dans une nation. A l’heure présente, l’État ne pourrait prendre en main toute la production, l’organiser d’une façon unitaire, faire disparaître toutes les entreprises privées. Il serait obligé soit de laisser ces entreprises à leurs possesseurs actuels, soit d’en transmettre la direction à des coopératives ouvrières incapables de mener à bien cette tâche immense. Ce ne sont pas seulement les ressources financières qui seraient insuffisantes, mais la capacité d’administration, la technique, la discipline, la moralité, le self-government, toutes qualités qui ne s’improvisent pas, qui ne sortent pas de terre, ainsi que le prouve l’échec si fréquent des coopératives de production. Et que serait cette administration nationale de l’industrie, dans une époque révolutionnaire où toutes les convoitises sont excitées, toutes les passions déchaînées, où toute discipline est anéantie ?

C’est là encore un des points essentiels sur lesquels M. Bernstein, M. G. Sorel corrigent le marxisme. Ils unissent étroitement l’éthique et le socialisme.

« Il y a trente ans, écrit M. G. Sorel, on avait une confiance extrême dans la science. On croyait qu’il existait une science sociale fondée sur les sciences physiques et biologiques, capable de résoudre tous les problèmes posés par la Révolution. » Il n’existe malheureusement aucune science qui dispense les hommes d’être prudens, avisés, maîtres d’eux-mêmes, ou qui leur infuse ces qualités précieuses. Quand, toutefois, M. Bernstein, M. G. Sorel, M. Conrad Schmidt parlent de ramener le socialisme à la moralité et au sentiment de justice, ils ne le font nullement dans le sens de cet idéalisme vague et déclamatoire de 1848, pour lequel Marx n’avait pas assez de sarcasmes. Il ne s’agit plus de prêcher la morale aux autres ; il faut l’appliquer soi-même. Les mêmes auteurs