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Je sais ce qu’il faut penser de certaines chimères. Les utopistes et les utopies méritent les dédains de la diplomatie. Ils retardent et déclassent le droit international. Mais il n’est pas défendu, même aux diplomates, même aux hommes d’Etat, d’ouvrir l’histoire et d’en recueillir les enseignemens. Autrement, ils feraient de l’utopie à rebours. Sans doute on n’a pas obtenu, cette fois, tout ce qu’on avait demandé. Mais, les choses se sont toujours ainsi passées depuis un grand nombre de siècles. Est-ce qu’on avait fait disparaître les guerres privées en un clin d’œil ? est-ce qu’on avait fait reconnaître du jour au lendemain les droits des neutres ? Avait-on obtenu du premier coup l’abolition de la traite ? N’est-ce pas seulement après de longs efforts qu’on arriva de nos jours à l’extinction à peu près complète de la course ? Il serait aisé de multiplier ces exemples.

Le victorieux, dans les combats pacifiques qui se sont livrés pour l’amélioration du droit international, n’est pas toujours celui qui couche sur ses positions. Qu’on veuille bien se rappeler un moment la grande lutte engagée au XVIIe siècle entre Grotius, auteur du Mare liberum (1609) et Selden, auteur du Mare clausum (1633), sur la liberté des mers. Certes l’Angleterre put se figurer à cette dernière date qu’elle avait réduit à néant les théories philosophiques de l’illustre Hollandais. Le livre de Selden, porté jusqu’aux nues, était devenu 1 évangile officiel du peuple et du parlement anglais. Cependant, à ce moment même, la bonne cause l’emportait en dépit des apparences, et la liberté des mers commençait à devenir la loi du monde.

Un peu plus tard, en 1625, ce même Grotius écrivit son immortel traité De jure belli ac pacis. On était, à cette époque, au seuil des temps modernes et du nouveau droit international. A chaque page, le grand publiciste expose l’état du droit des gens positif, et son évolution, imminente à ses yeux. Par ce seul rapprochement, ce droit des gens positif antérieur est secoué dans ses fondemens : l’autre a fait son entrée dans le monde et va le subjuguer.

Ensuite la constitution d’une cour internationale permanente est un avertissement perpétuel : elle fait naître la pensée de l’arbitrage, et met pour ainsi dire en demeure les puissances en litige, en même temps qu’elle seconde l’action des États médiateurs.

Avant tout enfin, rien ne peut empêcher que les puissances