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par des capitaines, satisfit leur fierté, elle leur laissa le souvenir d’une cruelle déception. La Russie acheva de montrer son ressentiment et d’exciter le leur en rendant l’exercice du pouvoir impossible au prince que la victoire avait fait plus cher à ses sujets. C’est malgré la Russie et contre elle que, sur les conseils de l’Autriche, ils choisirent, pour successeur d’Alexandre, Ferdinand de Cobourg.

Bulgares et Serbes avaient donc suivi une marche contraire. L’expérience de l’amitié russe rapprochait les uns de l’Autriche ; le résultat de la collaboration autrichienne réveillait dans les autres la tendresse pour la Russie. Mais ce serait se tromper que de voir là une inconstance de subalternes occupés seulement à troquer leurs maîtres. Tandis que les deux grands joueurs poussaient ces petits peuples comme des pions sur un échiquier, ces pions vivans jugeaient la partie où se débattait leur sort, et comme ils se virent sacrifiés, ils échappèrent aux mains qui les croyaient inertes, et résolurent de se mouvoir eux-mêmes. S’ils s’étaient considérés comme réduits à subir la domination de la Russie ou de l’Autriche, c’est la Russie qu’ils eussent choisie. Si la Russie ne veut pas la liberté, elle veut du moins l’union des races slaves : l’Autriche ne veut ni leur liberté, ni leur union. Mais toute l’énergie des Bulgares comme des Serbes prépare un autre avenir. Exposés aux caresses asservissantes des deux empires, ils ont employé la force des faibles, appelé le plus éloigné à leur aide contre celui qui les serrait de trop près, et opposé l’une à l’autre ces cupidités, pour se maintenir libres. C’est l’indépendance qu’ils veulent.

Comment l’assurer ? La sagesse populaire dans ses paroles simples cache plus d’un oracle. Depuis des siècles, elle a, sur toute l’étendue de la péninsule balkanique, célébré par ses légendes et ses chants, au-dessus de la gloire particulière à chaque race, la fraternité de toutes celles qu’unit la communauté du sol, des maux, du sang transmis par les mêmes pères ou versé par le même oppresseur. Cette tendresse entre égaux prépare l’entente que l’orgueil de primauté rendrait impossible. Depuis la Révolution française, les vastes et continuels changemens des États ont donné aux nations le courage d’avouer leurs rêves. Celles des Balkans ne songeaient pas à se conquérir, mais à s’associer : telle fut, à travers l’inconstance des combinaisons où se reflétaient les couleurs changeantes du ciel politique, la constance de la