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vaincus et ne pas laisser intacte la séparation entre l’armée de l’Islam et ses captifs. Quiconque gardait sa foi chrétienne, affirmait son obéissance à un chef religieux : c’est à chacun de ces chefs que les Turcs abandonnèrent le gouvernement de sa « nation. » Il régla pour elle les questions d’Etat, les procès, les impôts, dut à l’aide de ces pouvoirs maintenir l’ordre parmi ses fidèles et devint responsable d’eux envers la Porte. Malgré quelques changemens qui, de nos jours, ont manifesté une tendance de la Porte à exercer un pouvoir plus direct, les chefs religieux conservent aujourd’hui encore cette délégation de souveraineté. Si donc un chrétien, abandonnant son rite, renonce à la tutelle exercée par le chef de ce rite et ne s’agrège pas à un autre troupeau qui jouisse d’une protection égale sous un autre pasteur, il s’exclut de la capitulation faite entre sa race et la race dominante, il se retrouve à la merci du vainqueur comme une res nullius. Or le Turc avait pris les seules contrées du monde où les chrétiens eussent, par passion nationale, abandonné le catholicisme : les chrétientés séparées de Rome furent donc seules reconnues par le Turc. Ces Eglises ne vécurent pas impunément près de lui. La science ni les vertus ne furent détruites, mais, comme les sources des pays desséchés, elles se cachèrent dans les profondeurs du sol, dans l’ombre de quelques couvens. La paresse, l’ignorance et la cupidité envahirent ces clergés, et, comme la vie religieuse des peuples est faite par les vertus du sacerdoce, elle alla s’épuisant.

Lorsque des prêtres et des religieux latins s’établirent en Turquie, le remède fut près du mal, mais le mal ne voulait pas de remède. Tout chrétien de ces rites n’eût-il pas abdiqué sa personne civile, livré ses intérêts au pillage, et sa sécurité au bon plaisir, si, pour adhérer à la communion Romaine, il avait abandonné son Eglise ? Et son Eglise en ruines n’était-elle pas plus que jamais sa nation ? Contre la langue, les mœurs et la foi islamiques le rite gardait à chacune de ces races vaincues le souvenir d’une vie antérieure aux infortunes présentes ; la vision d’une splendeur sacrée où l’encens, les génuflexions et les trônes rendaient à quelques-uns des vaincus les honneurs de la souveraineté ; les gestes qu’avait accomplis en présence de Dieu la longue suite des ancêtres ; la langue qui dans toutes les fortunes avait porté le cri de la patrie humaine à la patrie céleste. Abandonner les prêtres de son sang, les prières de sa langue, la