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de ruines ? Cette Église se dit encore universelle et chaque peuple ne se sent libre qu’après l’avoir quittée. Sur l’immensité où elle régnait seule avec ses empereurs, c’est un pullulement d’Etats où chacun touche, en étendant la main, les frontières de sa patrie et de son culte. Le vaste miroir où se reflétait l’Orient entier, est brisé, et dans ses fragmens, nulle grandeur n’a plus la place de son image.

Ce qu’on y voit à nu, dans son impudeur vulgaire, c’est la promiscuité de la religion et de la politique ; c’est la soumission de l’Eglise au pouvoir, quel qu’il soit et quoi qu’il veuille. La gardienne de la nationalité est servante des princes qui souvent, désignés par l’Europe, n’appartiennent pas de race à leurs peuples, et parfois poussent au scandale le mépris de l’intérêt national. Ce n’est pas assez qu’elle soit aux ordres des princes. Ces États ont adopté un régime parlementaire qui alterne avec les coups de force. Quand il règne, les ministres gouvernent, c’est-à-dire des partis qui se succèdent en se combattant : l’on voit passer de l’un à l’autre et servir les uns contre les autres, dans une mobilité toujours fidèle aux forts, l’Eglise créée pour sauvegarder l’union nationale. Son plus noble espoir est de représenter, dans ces peuples inachevés, le patriotisme qui demande à étendre les frontières. Mais ce patriotisme se manifeste en chacun de ces peuples par des aspirations rivales, et, chacune de ces Eglises mettant son désir à n’être qu’à son peuple, au lieu de concilier les conflits, les perpétue et les exaspère. Grecque, Serbe, Roumaine, Bulgare, toutes serrées et acharnées les unes contre les autres sur les terres litigieuses, ces Eglises séparent la population du même sol, soulèvent d’un levain sacré une querelle tout humaine, et ordonnent au nom de Dieu de se combattre à ceux que la race avait faits pour s’unir.

Il n’est dans cette crise de dissolution rien qui ne soit fait pour rendre à ces peuples une intelligence plus exacte de l’Eglise romaine, leur montrer par le contraste la supériorité du catholicisme. Ils sont contraints de reconnaître la grandeur de cette religion, qui au lieu d’enfermer sa vie dans la vie d’aucun peuple, a eu foi en elle-même, et n’a voulu attacher à rien de borné, de passager et de faillible, une puissance nécessaire à tous, destinée à survivre et messagère de vérité ; qui, sans méconnaître le rôle des nations et le pouvoir des princes, ne confond pas sa tâche avec la leur, et, par-dessus les territoires où vivent séparés et égoïstes