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pour comprendre ce qu’elle gagnerait à clore le schisme byzantin ? Sans doute la constitution de l’Etat et de l’Eglise assure au Tsar un empire absolu sur les âmes et sur les corps. Mais ce n’est là qu’un triomphe d’orgueil pour un seul parmi cent millions d’êtres, et l’orgueil des souverains russes est trop intelligent pour séparer leur primauté de l’intérêt national. L’apaisement de démêlés sans fin avec la Pologne, de rigueurs chroniques contre les Ruthènes, du désaccord qui dans les lieux saints paralyse l’action ou menace l’amitié de la Russie et de la France, seraient les moindres résultats de la paix entre les deux Eglises.

Pour ses grandes tâches, la formation de sa société au dedans et le développement de son influence au dehors, la Russie a besoin du catholicisme. La multitude simple de ses paysans offre des réserves, qui semblent inépuisables, de soumission et de foi : ils respectent toute volonté du Tsar comme une loi religieuse, et la force présente du régime est que toute opposition au gouvernement a pour eux une apparence de sacrilège. Mais les explosions intermittentes du nihilisme laissent deviner un foyer de fureurs en fusion souterraine, un horrible désespoir d’êtres qui, ne pardonnant pas à un monde vide de ; justice et de pitié, n’ont plus pour lui ni pitié, ni justice, et, ne pouvant aimer, veulent anéantir. Ils appartiennent à la noblesse, à l’administration, à l’Université, à ce qu’on nomme les classes intellectuelles. Sur celles-là, la religion n’a plus guère de prises. Aux angoisses de la pensée sur la destinée humaine, l’Eglise orthodoxe ne répond que des psalmodies ; à la pitié du cœur pour les maux de la vie présente, elle ne donne pas davantage, elle est vide d’œuvres. C’est cette stérilité qui transforme les égoïstes en sceptiques et les passionnés en destructeurs. Or la simplicité présente du peuple est celle de l’enfance, la puberté succède quand se forment les classes moyennes, et l’avènement de celles-ci est l’âge critique pour l’autocratie. Si alors l’Eglise russe est celle d’aujourd’hui, les classes moyennes seront incrédules comme aujourd’hui la minorité intellectuelle. Et si contre elles l’autocratie invoque son pouvoir religieux, ceux qui ne seront plus soumis à l’Eglise ne le seront plus au chef couronné de cette Eglise. Quel est le moyen de prévenir qu’un jour, en Russie, l’impiété souffle en tempête, et surtout prétende reconstruire sur ses plans anti-sociaux ? Favoriser une religion qui, au lieu d’être un instrument passif du pouvoir, soit un agent actif de civilisation ; qui fortifie, par un