Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 155.djvu/354

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

convenant pas de la tâche que devait se proposer le traducteur, du but vers lequel il devait tendre, on ne s’est point accordé sur le sens du mot traduction ; 2° parce que la question était posée d’une manière trop générale. Faut-il traduire les poètes en vers ? Mais les raisons que l’on donnera pour traduire les poètes épiques et tragiques de cette façon étant admises, restera-t-il prouvé que l’on doive traduire de la même manière les poètes comiques ? etc. Voilà deux écueils qu’il faut que j’évite. Commençons donc par bien fixer nos idées sur le sens du mot traduction.

« Si les langues n’avaient point chacune leur génie, et qu’on trouvât dans chacune des mots correspondans à tous les mots d’une autre, on traduirait en substituant le mot correspondant à son correspondant. Un dictionnaire français-latin renfermerait des traductions parfaites de tous les chefs-d’œuvre de la langue de Virgile et d’Horace. Il faudrait exiger du traducteur une exactitude rigoureuse, et elle serait facile à obtenir, mais il n’en est pas ainsi. Chaque langue a son génie ; une traduction parfaitement exacte n’est donc pas possible. Il faut se résoudre à sacrifier beaucoup pour conserver le reste. Voyons ce qu’il est le plus important de rendre et si c’est en vers ou en prose que l’on parviendra à le rendre. Qu’est-ce qu’il y a de plus important à rendre dans un poète ? Ne sont-ce pas les images, les tours vifs et poétiques, l’harmonie et surtout l’harmonie imitative, et n’est-ce pas seulement en vers qu’on parviendra à rendre tout cela ? Cependant gardons-nous de trop généraliser nos divisions. Entrons dans l’examen de chaque genre et presque de chaque poète. L’ode, l’épopée veulent des vers ; les épîtres d’Horace des vers. Les ouvrages dramatiques souffrent la prose, les comédies surtout. Nous avons dit que les poètes épiques veulent être traduits en vers. Malgré le paradoxe apparent, nous ne craindrons point d’excepter de cette règle le premier des poètes épiques, Homère. En voici la raison, que j’aurais dû placer plus haut, et qui sera peut-être le principe de ma thèse. La poésie est faite pour plaire ; elle plaît par ce qu’on appelle le beau. Or il y a deux sortes de beau : l’un, qui se trouvant dans l’expression de certain grand poète de la nature et du cœur humain que rien n’efface ni n’altère, est le beau universel, le beau de tous les siècles et de tous les pays. Dans quelque poésie que ce soit, on est toujours sûr de plaire aux hommes en le reproduisant. L’autre beau est le beau de tel siècle, de tel pays, il dépend des mœurs, des degrés de