Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 155.djvu/381

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

[1] et voici en quels termes Maine de Biran parle de lui dans son journal, à la date du 27 juin 1820, qui est celle de sa mort :

« 27 juin. — En revenant du bain à dix heures, j’ai été frappé comme d’un coup de foudre en apprenant la mort du jeune Loyson qui habitait la même maison que moi[2]. C’était un compagnon, il cultivait les lettres et la philosophie avec succès et une facilité étonnante. Ce jeune homme se nourrissait de sentimens mélancoliques qui présageaient, ce semble, sa fin prématurée. Il me disait dans les premiers jours de sa maladie : « J’ai cru que le phénomène allait disparaître tout à fait, » faisant allusion à nos conversations précédentes où nous appelions phénomène tout ce qui tient à notre sensibilité actuelle, ou qui s’y manifeste immédiatement.

« O mon ami ! si, comme nous l’avons pensé ensemble quelquefois, les âmes ont un mode de communication intime et secrète auquel les corps ne participent pas, votre âme, ne pouvant plus se manifester maintenant par ces moyens visibles dont l’usage m’a tant de fois édifié et consolé, doit avoir d’autres moyens de se faire sentir à la mienne et de lui inspirer des sentimens meilleurs, des moyens plus fixes.

« Le 28, à neuf heures du matin, j’ai assisté à la cérémonie funèbre de l’enterrement de mon jeune ami. Il est en paix. Sa vie était pleine de souffrances. J’espère que cette âme si belle, n’étant plus empêchée, offusquée par une mauvaise machine, jouit maintenant de la plénitude de la vie de lumière[3]. »

Enfin, le jour de ses funérailles, Victor Cousin, qui aimait Charles Loyson comme un frère et qui, pour lui témoigner publiquement son amitié, lui a dédié la traduction de l’un de ses Dialogues de Platon s’avança au bord de sa fosse et prononça les paroles suivantes : «... Tu n’as paru qu’un instant sur la terre, mais pendant cet instant si court et si bien rempli, tu as cru à la sainteté de l’âme, à celle du devoir, à tout ce qui est beau, à tout ce qui est bien, et tu n’as cessé de nourrir dans ton cœur les seules espérances qui ne trompent point. Ta vie a été pure, ta mort

  1. « C’est moi, Madame, écrivait l’abbé de Frayssinous à la mère de Charles Loyson, quelques jours après sa mort, c’est moi qui ai assisté monsieur votre fils Charles dans la maladie qui l’a conduit au tombeau ; je crois devoir vous dire pour votre consolation que j’ai été très content de ses dispositions et que tout me porte à croire que Dieu l’aura reçu dans sa miséricorde. »
  2. 86, rue du Bac.
  3. Maine de Biran, sa vie et ses pensées, par Ernest Naville.