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mettre à notre disposition. Il nous conduit lui-même, en dehors de tout sentier visible, à travers un haut plateau coupé de profondes entailles creusées par le travail des eaux, dans un splendide panorama.

C’est déjà le grand souffle de la montagne. Au matin, un léger brouillard couvre d’un duvet de givre les brins d’herbe et les peluches de mon paletot. Une demi-heure après, le soleil aura bu tous ces blancs duvets.

Tout à coup, après 25 kilomètres de chevauchée, au fond d’un grand cirque de verdure, nous voyons s’étaler les eaux bleues de l’Inle-Lack, sous les montagnes de Fort-Stedman. Ce lac, très profond dans son centre, ne mesure que 15 kilomètres de longueur sur 5 kilomètres dans sa moindre largeur. Le paysage est noyé dans une jolie tonalité d’un gris bleu qui se fait gris perle au matin, dans la buée lointaine. De nombreuses pagodes ont été construites sur pilotis et se mirent dans les eaux profondes. D’innombrables canards sauvages nagent et volent près de moi en confiance, des multitudes d’oiseaux pépient et se poursuivent, d’autres s’en vont par troupes en un long nuage noir ; et, sur les berges, les énormes buffalos noirs, aux longues cornes, ressemblent, par leurs masses, à des rhinocéros cachés dans la verdure.

Les habitans de l’Inle-Lack sont des Inthas, descendans de tribus esclaves amenées de Tavoy. Ils vivent uniquement sur l’eau, dans des villages aux maisons sur hauts pilotis, entourés de jardins flottans qui sont fixés au fond des eaux par de longs bambous, comme les jardins maraîchers des lacs de Srinagar au Cachemire. Villages et jardins forment des îlots en désordre, le long des berges, et, d’un côté à l’autre du lac, les grands bois des pilotis semblent toute une flottille haut matée. Quelques arbres poussent dans ces jardins, avec des légumes, des tomates, des melons d’eau, etc. A la saison des grands vents et des tempêtes, la bourrasque a quelquefois au matin emporté le jardin qui s’en est allé flotter bien loin de la case suspendue de son propriétaire.

Sur une grande île artificielle gentiment boisée, tout à fait au sud de l’Inle-Lack, se trouve le village de Nampoong. Il est d’un aspect très curieux, ce village lacustre aux maisons et aux monastères élevés sur leurs hauts pilotis, sous lesquels la lumière se joue dans l’eau. Les Poonghee-Kiung, peints en rouge et dorés, sont épars au milieu des saules et des jolis arbres au feuillage