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Baya, Kienmuong, Henis, Tamons, Kyaw et autres princes de ces États shans, peu connus, encore et que seuls jusqu’alors avaient parcourus de rares officiers en service.

Dans tous les villages, les princes indigènes se pressent en cercle autour de ma tente, avec leurs femmes et toute leur suite. Ils m’apportent leurs laies, leurs présens, sous forme de briques de sucre brun, de tubes de bambou remplis d’huile, qui font le bonheur de ma caravane.

Il est impossible de traverser un pays plus riant, plus pittoresque que celui qui précède le Salouen. C’est un véritable jardin anglais, agréablement vallonné : grands herbages semés d’arbres, groupés ou solitaires, encadrés, à droite et à gauche, de jolies montagnes rapprochées, dont les flancs et les sommets mêmes, qui se découpent sur le ciel, sont boisés de toutes les essences, colorés de tous les tons, du pourpre au vert et au blanc. Le tableau varie sans cesse. Le sentier monte et descend par de douces pentes ; les grands joncs se dressent à quatre ou six mètres de hauteur ; les cloches violettes tombent des lianes folles et géantes, à côté d’orchidées extraordinaires qui trouvent vie sur les bois ; des torrens cascadent sous l’ombre épaisse des branches, et tout à coup, de grandes eaux qui courent luisent au loin comme des miroirs. Toujours, suivant l’expression de Stanley, la « grande silve » qui ne finit pas, que les rivières coupent sans l’interrompre jamais.

Cependant le soleil a dépassé la montagne et monte lentement dans le ciel tout bleu, il répand sa lumière en perles sur toutes les herbes et rend brillantes toutes les feuilles.

Le sentier devient étroit, sentier perdu dans les hautes herbes, ombragé parfois des grands plumets blancs ou roses des joncs ; sentier charmant, sinueux à l’infini, et dans l’air très chaud, doux à respirer, je me laisse bercer avec délices au petit galop de mon cheval. Tous les oiseaux chantent dans les arbres ; de petites perruches trop vertes, à faire mal aux dents, sautent et se poursuivent de branches en branches. Devant nous, dans l’épaisseur du « jungle, » s’ouvre une étroite fissure dans la montagne. Un gros rocher perpendiculaire sur lequel grimpent des arbres en ferme l’entrée et il le faut tourner comme la porte d’une étroite gorge. Nous continuons de monter sous d’immenses arbres très droits au milieu des hautes gerbes de bambous, des fougères arborescentes et de la brousse tropicale. De grands singes prennent