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est froidement féroce et le héros tragiquement découragé. Nous analyserons plus loin la manière de l’artiste, à propos de la grande action qu’il commençait à exercer sur les élèves de l’Ecole.

Le nom de Fromentin qui vient de nouveau, à propos de Moreau, d’arriver sous ma plume, rappelle à mon souvenir deux peintres orientaux dont je n’ai encore rien dit : Berchère et Guillaumet.

Le premier, très modeste, avec un talent de demi-teinte, est resté dans la pénombre des coins oubliés. Je le regrette. J’ai vu de lui des tableaux d’un calme pénétrant. C’était un poète du pinceau, honnête et délicat, d’une harmonie très douce lorsque l’inspiration le servait bien, ce qui lui arriva maintes fois. Sera-t-il apprécié, aura-t-il son heure ? À voir l’abandon du public, il a dû en douter amèrement. Rien ne nuit comme trop de discrétion à une époque où les charlatans sont crus sur parole ! J’ai vu Berchère une seule fois. L’homme comme le peintre m’a laissé le souvenir d’une distinction réservée et très sympathique. Il a écrit un livre intéressant sur l’isthme de Suez.

Bien différent fut Guillaumet. Il débuta par des toiles sans personnalité, veules et insignifiantes. Elles avaient presque passé inaperçues lorsqu’il exposa un vaste tableau : La Famine en Algérie. C’était une mauvaise imitation des Massacres de Scio d’Eugène Delacroix : dessin mou, aucune construction, des têtes grimaçantes sans expression. On le crut égaré pour toujours. Puis voici qu’apparaît son tableau charmant et qui fit grand bruit : Fileuses Algériennes. C’était miracle ! Peut-être un second voyage en Algérie lui avait-il ouvert les yeux. Il s’était assimilé plus intimement le pittoresque et le caractère de ce pays merveilleux. Certes, en y regardant de près, on trouvait toujours de la faiblesse de construction dans les figures, mais l’effet et le sentiment exprimé sauvaient l’aspect général. Il faut ajouter que l’examen de l’exécution donnait la clef du miracle de la transformation accomplie : on y trouve, au fond, des qualités personnelles, des souvenirs de Fromentin combinés avec le procédé plus gras et laineux de J.-F. Millet. Guillaumet était d’ailleurs doué d’une intelligence rare. Il a écrit de belles pages d’impressions dans la Nouvelle Revue. Sa vie agitée s’est terminée par un drame attristant.

Au moment où nous sommes arrivés, l’école française, on le voit, offrait une très grande variété dans les talens. J’ai tâché d’en indiquer les types principaux, négligeant naturellement.