Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 155.djvu/422

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas les indigènes. Il reste, entre eux, l’antipathie de race, le mépris, le dédain du blanc pour le jaune ou le noir, contrairement à ce que je voyais en Sibérie et au Turkestan où tous les peuples annexés deviennent membres de la famille.

Le Russe les aime, ces grands enfans d’indigènes. Sa politique, qui sait attendre, convient à la politique orientale. Tous leurs sujets asiatiques sont les frères de ces Mongols qui les avaient soumis et dont ils ont secoué le joug. Ce sont des cousins ; des cousins pauvres, qui n’ont pas été éduqués et qui ressemblent au moujik.

A l’œuvre si bien entendue des Anglais, il manque une chose, sans laquelle on ne fait, me semble-t-il, œuvre qui vaille, en ce monde : il y manque l’amour. L’Anglais n’aime pas l’indigène. Il le méprise souvent et le dédaigne toujours. L’indigène le sent et ne pardonne pas. Il se soumet, mais n’oublie pas, et reste l’ennemi et le péril de l’avenir.

C’est précisément le sentiment de cet antagonisme entre conquis et conquérans qui faisait dire à Grant Duff : «Je n’entends jamais parler d’un vaisseau naviguant, à travers le brouillard, dans les bancs de Terre-Neuve, au milieu des montagnes de glace, sans penser à notre gouvernement de l’Inde. »


ISABELLE MASSIEU.