Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 155.djvu/425

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

natures, bois de construction, bétail, et l’innombrable série de produits qui forment la richesse commerciale de ce merveilleux pays doivent représenter une valeur annuelle qu’on peut estimer entre deux cent et deux cent cinquante millions de dollars, et qu’il serait facile de doubler, peut-être de tripler. »

Dieu nous garde de conclure, comme M. Castelar le sous-entendait sans doute, que l’état d’âme de Colomb, — celui que du moins il lui prête, — est représentatif de toute l’âme latine en tout temps et en tout lieu, et que cette âme n’est que poésie. Il l’a connue aussi, l’Auri sacra fames, l’âpre Génois qui venait d’Europe, menant obstinément vers les trésors de la fabuleuse Cipango les âpres Espagnols ! Et le monde, pour lui non plus, n’était pas seulement lumière, musique et parfums ; dans le mystère des terres et des mers ignorées, c’étaient bel et bien des réalités qu’il cherchait. D’autre part, l’âme anglo-saxonne n’est pas desséchée par la passion du gain au point de ne voir dans la forêt que du bois, dans la plaine que de l’humus, dans les monts que des carrières ; au point de ne sentir aucun genre de beauté : il en est, au contraire, peu qu’elle ne comprenne et qu’elle ne goûte et dont elle ne se mette en quête. Mais enfin, et pour autant que des généralités puissent n’être pas fausses à force d’être générales, le caractère des deux races est ici assez bien marqué. Christophe Colomb, — croyons-en don Emilio, — s’est d’abord écrié : « Le beau pays ! » M. Porter commence par dire : « La bonne affaire ! » En ce siècle et dans tous les siècles du passé et de l’avenir, il se pourrait que ce fût M. Porter qui eût raison. Il n’y a plus sur terre de paradis sans maux, plus d’Adam sans péché, et l’humanité est devenue incapable de sentir, devant la nature, le frisson pur, désintéressé et puéril du premier homme. Pour tout dire en deux mots, l’homme ne conquiert plus ou n’acquiert plus la terre et ne colonise pas pour admirer le paysage.


I

Cuba est donc une île longue de 670 kilomètres, large de 40 à 200, et dont la superficie n’est pas de moins de 126 700 kilomètres carrés[1]. Sa forme est celle d’un arc irrégulier dont la convexité

  1. 118 833 kilomètres carrés seulement d’après une évaluation plus récente. On sait combien les statisticiens ont de peine à s’entendre sur la mesure des surfaces ; il serait facile d’en citer de piquans exemples.