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dans l’infini des harmonies. L’air pour eux n’est plus un fluide impassible, il tremble dans une sorte de vibration morale. Il a ses gaîtés, ses sourires et ses tristesses. L’art associe plus directement le ciel et les élémens aux affections humaines. Solitairement guettés dans le rayonnement de leurs réveils, dans l’énergie de leurs intensités, dans l’apaisement de leurs sommeils, ces élémens, par une sorte de magie harmonique, mêlent leur langage à l’expression de nos sentimens et de nos pensées. La terre chante, sourit ou gémit. L’astre du ciel, clément ou terrible, mûrit ou brûle les moissons ; voluptueux, il lutine les fleurs ; monarque, il transfigure les êtres et les choses dans les ondes de sa pourpre royale ; farouche, il enveloppe leurs catastrophes d’un feu lugubre ; Dieu des airs, lorsqu’il se repose de sa splendide gloire, il s’assoupit dans un champ de prière. Tous les effets de la nature sont tentés. La lune aussi nous montre sa face propice ou menaçante ; lorsqu’elle se mire et qu’elle égrène ses perles sur les flots endormis, ou lorsqu’elle effiloche ses dentelles sulfureuses et ses halos roux dans la mêlée furieuse des nues où elle court échevelée ; mystique parmi les blancheurs des gothiques aiguilles ; charmeuse étrange lorsqu’elle s’évapore dans les poèmes du songe ; merveilleuse quenouille des vieilles légendes, car tout se renouvelle, tout revient, même l’imprévu. Dans l’un des plus beaux tableaux de Millet on la voit incliner, lueur errante, son regard de bonne pastoure sur un parc à moutons.

Oui, tout revient ! Il n’est pas nouveau le souci de la vie passionnelle des choses : il ne fait que se présenter sous une face rajeunie. Léonard de Vinci, le Poussin et Rembrandt l’ont connu. C’est pourquoi ils parlent à l’âme à travers les yeux. Il y a longtemps que la source pleure ou chante, et que l’ondine se démène dans l’onde folle, éparpillant sur la berge des perles irisées. Est-ce que les Grecs n’ont pas tout vu, tout senti ? Mais des siècles se sont écoulés qui n’ont pas aperçu cette lumière du sentiment. La gloire du nôtre sera de l’avoir revêtue d’expressions nouvelles. Aujourd’hui, au lieu de personnifier la nature comme les anciens, on cherche à en transfigurer l’apparence vulgaire en lui prêtant une âme, qui la mette en communication avec l’âme humaine par la magie harmonique des sons, des formes, des couleurs, des rêves et des passions.