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des États-Unis. Que vont-ils faire, ou plutôt que ne vont-ils pas faire de Cuba, je ne dis point américaine, mais américanisée ? Car la question n’est pas pour le moment, — et, en ce qui nous concerne, ce ne sera jamais la plus intéressante question, — de savoir si Cuba restera politiquement américaine ou si elle sera cubaine, mais bien dans quelle mesure elle sera économiquement américanisée, puisqu’il est impossible qu’elle ne le soit pas. l’américanisation économique de Cuba se fera de deux manières, et par deux agens en coopération étroite : par les hommes et par l’argent. Les Américains ne tenteront rien sans doute pour chasser de Cuba les Espagnols qui voudront y demeurer, et dont les articles 8 et suivans du traité de paix du 10 décembre 1898 règlent la condition et garantissent les droits. Mais ils s’installeront en masse à côté d’eux, et, à la longue, ils les submergeront sous leur flot : c’est aux États-Unis que les statisticiens ont posé en fait que la population de Cuba, laquelle actuellement n’est guère que de l 600 000 habitans, — dont à peine un million de blancs, — pourrait être, sans surcharge, portée à dix millions : les Américains y contribueront dans une proportion si forte, qu’avec le temps il faudra que l’îlot ethnique espagnol soit bien résistant, d’une bien pure et bien dure roche de Castille, pour n’être pas rongé et entamé. Mais, surtout, ils l’attaqueront par le dollar. Le président Cleveland estimait, à la fin de 1896, entre 30 et 50 millions de dollars (de 150 à 230 millions de francs) la somme des capitaux américains engagés à Cuba, soit en plantations, soit en chemins de fer, soit en exploitations minières ou autres[1] ; et cette somme, comme la population et du même mouvement qu’elle, tout naturellement, pourra être portée au décuple. Par là, le commerce entre l’île et le continent, qui, en 1893, a atteint 163 millions de dollars (615 millions de francs j, recevra un accroissement en quelque sorte indéfini, ou, tout au moins, quant à présent incalculable. Par là l’attraction du continent sur l’île scia, elle aussi, décuplée, et par là s’opérera dix fois plus vite, à une puissance dix fois plus haute, l’américanisation de Cuba.

De cette américanisation économique de la Grande Antille, quels seront donc les résultats ? quels seront-ils pour Cuba d’abord — et indirectement pour l’Espagne ? — quels seront-ils pour les Etats-Unis et pour l’Europe ? Pour Cuba, tout à gagner, sauf, on

  1. Message du 7 décembre 1896.