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l’éloquence qui influe sur elle, l’histoire qui la raconte, la philosophie qui l’interprète. Alors même que le déclin a commencé, telle est la vitalité de cet esprit grec, qu’il peut encore donner avec une abondance extraordinaire des œuvres curieuses, fortes même, et destinées à susciter toute une série d’imitations ; mis en contact avec le christianisme il essaie de se renouveler en lui empruntant son principe, et ne s’éclipse enfin sous l’invasion de la barbarie que pour attendre le moment de reparaître et l’heure d’envahir notre monde moderne.

Ajoutons que nous avons en MM. Alfred et Maurice Croiset les guides les plus sûrs en même temps que les plus attrayans, en sorte qu’on ne sait si on a plus de profit ou plus de plaisir à les suivre. Au moment où ils viennent de terminer une œuvre dent la seule publication ne leur a pas coûté moins de douze années, et pour laquelle ils ont uni leurs efforts fraternels, il n’est que juste de signaler le résultat de leur patient et savant labeur. C’est vraiment une « histoire » qu’ont écrite MM. Croiset. Ils y ont fait circuler les idées à travers les faits, et le soin d’une information scrupuleusement exacte ne leur a fait négliger aucun des mérites proprement littéraires : le souci d’une composition équilibrée, d’une exposition claire, d’une forme élégante, aisée, harmonieuse. Par toutes ces qualités, leur livre se distingue des simples ouvrages d’érudition et fait honneur à la science française.

C’est déjà avec Aristote que s’annonce la prochaine apparition de l’alexandrinisme. « Son érudition même est un trait alexandrin. Son esprit plus scientifique que littéraire, plus tourné vers la classification méthodique des faits que vers la création, porte la marque de l’âge nouveau. Il en est de même de sa langue, moins attique que grecque, et de ce cosmopolitisme scientifique qui fait qu’au lieu de s’enfermer dans la contemplation de sa petite patrie, c’est tout le monde grec qu’il embrasse dans ses études politiques et toute la nature dans ses études physiques. » Désormais les genres qui exigent le déploiement de l’imagination sont stérilisés. Partout le jaillissement des facultés spontanées est remplacé par les recherches de l’esprit savant. L’éloquence desséchée et mise en préceptes devient la rhétorique. La philosophie, négligeant la spéculation, qui avec un Platon confinait à la poésie la plus audacieuse, se restreint dans le domaine pratique et se borne à formuler des règles de vie, à moins qu’elle ne s’amuse à entre-choquer les idées pour en remuer la vaine et brillante poussière. Devenu surtout curieux et chercheur, l’esprit grec se complaît dans l’histoire, dans les provinces de l’histoire, et dans ses annexes : histoire générale, biographie, géographie, histoire de la civilisation, histoire des