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succès qu’elles ont obtenu. Ils se montrent fort irrités, en particulier, de l’indifférence témoignée, à l’égard du cent cinquantième anniversaire de la naissance de Gœthe, par le monde officiel et par le monde catholique. L’empereur d’Allemagne ayant négligé de manifester ses sentimens pour Gœthe, à l’occasion de cet anniversaire, ils lui reprochent de préférer M. Rudyard Kipling à l’auteur de Faust. Et peu s’en faut qu’ils ne réclament des poursuites contre le clergé de Francfort pour n’avoir pas, le 28 août, pavoisé les églises de la ville.

Ils oublient seulement, dans leur indignation, qu’ils ont d’avance tout fait pour désintéresser de ces « fêtes de Gœthe » ceux qu’ils accusent à présent de ne s’y être pas assez intéressés. Parmi les innombrables articles publiés, à propos de ces fêtes, sur « les idées politiques de Gœthe, je n’en ai guère lu qui ne fussent remplis d’allusions malveillantes au régime impérial tel qu’il est aujourd’hui. Dans les uns, Gœthe était représenté comme un anarchiste, dans d’autres, comme un autoritaire et le précurseur du prince de Bismarck ; mais les uns et les autres affirmaient que, s’il savait encore, le spectacle de la politique allemande contemporaine lui ferait horreur. Et je ne parle pas des caricatures, non moins innombrables, publiées sur le même sujet dans les journaux satiriques. Une d’elles, intitulée Son Excellence Gœthe, nous fait voir un jeune prince passant dans une rue de Berlin, en compagnie de son aide de camp. « Je ne comprends pas, dit le prince, comment on a pu tolérer qu’un homme d’État perdît son temps à écrire tant de vers ! »

Une autre image nous montre un gros prêtre catholique tournant le dos au portrait de Gœthe, d’un air de haine mêlée de mépris. Le visage de Gœthe est plein de majesté, celui du prêtre exprime la bassesse et la mauvaise foi ; et, dans un long poème annexé à l’image, le prêtre s’écrie : « Que nous voulez-vous, avec vos fêtes de Gœthe ?... Vous aurez beau, dans vos discours, en appeler à l’avenir ; par bonheur pour nous, la sottise humaine sera toujours assez forte pour empêcher un haut esprit d’être dangereux ! »

Cette image et ce poème pourraient suffire à résumer le caractère qu’on a expressément donné, en Allemagne, à la célébration du cent cinquantième anniversaire de la naissance de Gœthe. Bien plus que le poète ou le critique, on a voulu glorifier en Gœthe le libre penseur, le Voltaire allemand, l’homme qui écrivait à Lavater : « Anti-chrétien, je ne crois pas l’être, mais je suis et resterai toujours un non-chrétien convaincu ! »

On a soigneusement extrait de son œuvre, pour les remettre sous