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Peintre et sculpteur médiocre, il raisonnait sur les arts avec une originalité, une passion, une profondeur admirables. Il avait été le confident ou plutôt l’inspirateur de Winckelmann ; il fut, de la même façon, l’inspirateur du jeune étudiant qui se plaisait à le consulter. Il n’avait de goût que pour l’art antique, interprété d’ailleurs à sa fantaisie ; et si, d’une part, Gœthe a certainement appris de lui à aimer par-dessus tout l’harmonie de la forme, c’est de lui aussi, sans doute, qu’il a appris à mettre dans son art toute sorte de symboles et d’allégories. Sur un rideau peint par Oeser pour le théâtre de Leipzig, les Muses et les grands poètes anciens sont représentés faisant face au spectateur, un peu comme dans le merveilleux Parnasse du Vatican ! mais derrière leur groupe, une figure d’homme apparaît qui, leur tournant le dos, semble en train de courir vers le fond de la scène : et cet homme est Shakspeare, nous rappelant ainsi qu’il est différent des poètes classiques, et qu’il cherche la beauté dans une autre voie. Plus significatif encore, à ce point de vue, est un projet de monument en l’honneur du poète Gellert : au faîte du monument, Oeser a dessiné trois enfans endormis, lesquels représentent les trois Grâces, introduites par Gellert dans la poésie allemande ; et comme Gellert n’a pu faire que les y introduire, laissant à d’autres le soin de les amener à leur maturité, Oeser nous les montre sous des traits d’enfans. Qui pourrait dire que, dans les œuvres même les plus belles de Goethe, quelque chose ne se retrouve point de ce symbolisme à la fois ingénu et subtil ? Mais ne sent-on pas, en même temps, quelle action féconde a dû avoir sur l’esprit du jeune poète la familiarité d’un maître tel que celui-là, qui donnait pour idéal à toute œuvre d’art l’expression d’une pensée dans une forme parfaite ? C’est dans l’atelier d’Oeser, c’est dans les salles du musée de Dresde où, sur le conseil d’Oeser, il est allé s’enfermer pendant des semaines, c’est dans cette atmosphère d’art que Gœthe s’est formé au sortir de la rude discipline paternelle ; et M. Vogel, sans presque nous parler de lui, nous renseigne mieux que tous ses biographes sur ce moment capital de sa carrière d’artiste.

Un petit ouvrage de M. Geiger, sur Gœthe à Francfort en 1797, ne laisse pas, lui aussi, d’être assez instructif. Non que la biographie des personnes que Gœthe a fréquentées dans sa ville natale, durant ce séjour de quelques semaines, ait pour nous le même intérêt que celle des maîtres et des amis de Gœthe pendant ses trois années d’études à Leipzig. Mais M. Geiger s’est amusé à reconstituer pour ainsi dire heure par heure l’emploi du temps du poète dans ces quelques semaines : il a extrait de sa Correspondance, de son Journal, des écrits du temps, tout