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sévère pour moi quand je me juge, disait le philosophe ; mais je me relève à mes propres yeux quand je me compare.

Nous n’ajouterons qu’un mot ; il ne se rapporte pas à l’œuvre que le Conseil de guerre a accomplie, mais à celle qui revient maintenant à d’autres qu’à lui. La question judiciaire est épuisée ; les juges militaires y ont pourvu d’après leurs lumières et dans le recueillement de leur conscience ; ils ont donc fait ce qu’ils devaient. Toutefois, après la question judiciaire, il était à prévoir qu’une autre se dresserait, question toute politique, dont les juges n’avaient ni à connaître, ni à s’inquiéter. Ils n’auraient pas pu le faire sans sortir de leur rôle, ou sans introduire dans le prétoire des préoccupations qui ne devaient pas y pénétrer. Mais, maintenant, quelles seront les suites, ou, si l’on aime mieux, quel sera le lendemain de l’arrêt ? Nous avons le droit, nous, de nous en préoccuper sérieusement, et le gouvernement a le devoir, puisqu’il est chargé du pouvoir exécutif, non seulement de délibérer, mais d’agir. A chacun sa fonction : les juges ont rempli la leur, au gouvernement de remplir la sienne. Il y a, sans doute, pour lui des responsabilités à encourir : mais n’est-il pas fait, précisément, pour prendre des initiatives, et pour encourir des responsabilités ?

En ce qui nous concerne, nous avons dit bien souvent et nous répétons qu’après comme avant l’arrêt, si quelque chose importe et paraît désirable, c’est d’éliminer le capitaine Dreyfus de son affaire, ou de celle qu’on a greffée sur la sienne et qui a amené de si extraordinaires confusions. Aussi longtemps, en effet, qu’il y sera présent de sa personne, et que les haines politiques ou les appétits d’un trop grand nombre de ses partisans se dissimuleront ou s’abriteront derrière la possibilité de son innocence, nous serons gênés, pour les combattre en pleine liberté. Quoi que nous puissions dire, quoi que nous puissions faire, ils nous opposeront toujours la personne de Dreyfus. Nous aurons toujours l’air, ou ils nous le donneront, de nous acharner contre un homme, et, comme ils disent, contre une victime. Il est temps de dissiper ces équivoques. Puisque, depuis deux ans, la personne de Dreyfus, militaire et israélite, sert à ses défenseurs de paravent, de prétexte, ou même d’excuse pour se livrer contre l’esprit militaire et contre l’idée religieuse à toute la violence de leurs passions, il faut leur enlever ce genre d’argumens. Ce qu’ils attaquent, il faut les réduire à l’attaquer ouvertement, directement, de manière qu’ils ne puissent pas y mêler plus longtemps soit une question de justice, soit une question d’humanité. Encore une fois la question de