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échéance. Comme tous les Méditerranéens, l’Espagnol a le goût du plaisir, un fond de bonne humeur et d’esprit, mais, plus que tous les autres, il a les passions violentes, concentrées et non expansives. Sa sensibilité est irritable et, en même temps, l’amour-propre le domine : voilà ses deux caractéristiques. Aussi n’y a-t-il pas loin de la main au couteau. Les ferias sont l’occasion de meurtres nombreux. Les condamnations pour homicide, qui, en 1893, étaient de 0,50 pour 1000 en Angleterre, de 1,06 en Allemagne, de 1,72 en France, s’élevaient en Espagne à 4,74 (et à 8,14 en Italie).

Les Espagnols sont loyaux, fidèles à la parole donnée ; ils ont le sentiment de la dignité et de l’honneur. Ils sont généreux, hospitaliers, peut-être encore plus dans le sud que dans le nord ; et cependant, on ne saurait dire, en général, qu’ils soient humains. Durs pour les animaux domestiques, durs pour les hommes, durs pour eux-mêmes, c’est par l’absence de bonté sympathique et sociable qu’ils contrastent avec d’autres peuples. Cette dureté est un des signes caractéristiques de la race ibère et berbère, comme de la race sémitique, telle que nous la montrent surtout les Phéniciens. Les Espagnols se croyaient bien différens des Maures ; au point de vue ethnique, ils en étaient déjà très voisins. Ils n’ont pas reçu assez d’élémens celtiques et germaniques pour avoir la douceur dans le sang ; ils sont demeurés africains, et ces Occidentaux sont aussi des Orientaux. Leur insensibilité, dont les Indiens conquis firent l’épreuve, alla souvent jusqu’à la cruauté froide et à la férocité. Les peintres eux-mêmes se plaisent à représenter des supplices. Entretenue jadis par les spectacles de l’autodafé, leur dureté l’est, aujourd’hui encore, par l’éducation des courses de taureaux. Quelques âmes naïves, à la suite d’Edgar Quinet, se sont persuadé que ces jeux contribuaient à la persistance de l’énergie espagnole ; comme si la cruauté et l’énergie étaient identiques ! Y avait-il des jeux de taureaux à Numance ? Est-ce le taureau qui enseigna la valeur aux Goths de Pelage et du Cid ? Ce que ces spectacles contribuent à maintenir, c’est simplement la barbarie ; le goût du sang ne fut jamais nécessaire pour faire des héros.

L’imagination de l’Espagnol s’exalte en dedans et se nourrit de ses visions intenses, jusqu’au moment où tout éclate au dehors. Mais, si cette imagination est forte, elle est en même temps bornée. Par cela même, les passions conservent quelque chose