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conscience impure, constitue le plus haut « sacrilège. » Telle était la vraie orthodoxie ; et il faut bien convenir, pour être juste, que la catholique Espagne fut trop souvent hétérodoxe, nourrissant elle-même au for intérieur l’hérésie qu’elle poursuivait si impitoyablement au dehors.


III

Du latin, la langue espagnole a gardé une gravité et une sonorité de prononciation quelque peu emphatique, que n’ont point les autres langues et où s’exprime bien le génie national. La littérature de l’Espagne s’est développée librement et n’a subi l’influence latine qu’autant qu’il fallait pour conserver la précision et la clarté des formes : l’esprit est resté espagnol. Jusque dans l’antiquité, l’Espagne romanisée s’était, dans les lettres, montrée plus originale que la Gaule, — avec les Sénèque et les Lucain, avec Quintilien, Silius Italicus, Martial et Florus. Si l’on trouve dans Sénèque, à côté de l’élévation et de la grandeur, la déclamation et la recherche du trait, les antithèses et les jeux de mots, l’emphase et la subtilité tout ensemble ; si la versification de Lucain, énergique et brillante, est déclamatoire aussi et vise à l’effet, le génie ibérique y est assurément pour quelque chose.

L’Espagnol a besoin de sensations violentes. Son imagination ne se plaît ni au rêve vaporeux, ni au fantastique ; il veut des contours arrêtés et des couleurs chaudes. Un des caractères de la littérature épique espagnole, c’est l’absence du merveilleux, ou du moins sa réduction à un rôle très effacé. Au fantastique, la poésie espagnole préfère l’héroïque. La foi religieuse et le patriotisme ont fourni au poème du Cid une grandeur rude et parfois sauvage. Dans le Romancero, les traits féroces abondent, ingénument racontés comme s’ils n’avaient rien que de naturel.

M. Brunetière a magistralement marqué le caractère général de la littérature espagnole en la représentant comme essentiellement chevaleresque et romanesque. L’Italie du XVe siècle était toute naturaliste et entièrement livrée à la morale de l’intérêt personnel, ou plutôt à l’absence de toute idée morale. La France d’alors, « demi-anglaise et demi-bourguignonne, » était, elle, uniquement réaliste. Les Espagnols contribuèrent, en posant la religion du point d’honneur, « à réintégrer quelque idée de la justice dans ce monde nouveau qui était en train de se fonder alors