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Ces causes réunies produisirent une sorte de saignée à blanc par laquelle s’écoulèrent les élémens les plus généreux de la vie nationale. Ce furent surtout les descendans des Goths et Germains, les dolicho-blonds, ainsi que les meilleurs représentans de la race méditerranéo-sémitique dolicho-brune, qui furent victimes ou de leur humeur aventureuse et batailleuse, ou de leur indépendance d’esprit et de l’ardeur de leur foi. Le gros des races sans résistance et sans ressort demeura intact ; mais presque toute l’aristocratie naturelle disparut. Telles sont les raisons physiologiques qui produisirent la dégénérescence espagnole. A elles seules, elles n’expliquent pas tout : les causes morales et sociales vinrent s’y joindre.

L’expulsion des juifs en 1492, celle de tous les habitans d’origine maure en 1609-1610, privent l’Espagne d’une population particulièrement active et laborieuse ; l’indolence méridionale, le préjugé contre les travaux manuels, le fléau de la mendicité toujours croissante prennent bientôt le dessus. Que de petits faits nous font comprendre dans quelle atmosphère de soupçon et de crainte on vivait alors ! Les bains ressemblant aux ablutions, on les proscrivit en même temps que la race infidèle : prendre un bain ou le prescrire aux malades, c’était chose périlleuse. Dans la Vieille Castille particulièrement, où les nouveaux chrétiens étaient en petit nombre, leurs démarches pouvaient éveiller les soupçons : « Un médecin convers, dit M. Guardia, qui eût ordonné un bain eût fait scandale. » De là une malpropreté générale et les maladies de peau devenues endémiques. Voilà l’image matérielle des effets du despotisme et de leurs répercussions lointaines. Les expéditions de Charles-Quint avaient si bien soutiré hommes et argent que les maisons se fermaient, les campagnes devenaient désertes, une partie de l’Espagne retombait en friche. Mais, ici encore, c’est la découverte de l’Amérique qui avait été la principale origine des calamités morales et sociales de l’Espagne. C’est une cause puissante de déséquilibration, pour le caractère d’un peuple, que le bouleversement plus ou moins soudain de toutes les conditions sociales, qui enrichit les uns, ruine les autres, fait monter ceux-ci, descendre ceux-là, entraîne tout dans des courans contradictoires. On s’habitue à compter sur le hasard plutôt que sur la volonté ; et, si on fait acte de volonté même, c’est sur un effort passager, non sur un travail soutenu et persévérant que l’on fonde ses espérances. Or, quoi de plus