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l’Espagne et à la difficulté de ses voies de communication[1].

Dans tous ces maux, un partisan de Marx ne verra-t-il encore que des phénomènes purement économiques, ou, sans méconnaître l’importance des modes de production de la richesse, n’y faut-il pas reconnaître avant tout l’action des grandes causes intellectuelles et morales ?


V

Suivant la tradition populaire, à l’origine du monde, l’Espagne demanda au Créateur un beau ciel, et l’obtint ; une belle mer, de beaux fruits, de belles femmes, et l’obtint encore ; — un bon gouvernement ? — « Non, ce serait trop, et l’Espagne serait alors un paradis terrestre. » Mais ce ne fut pas seulement de bons gouvernans qui furent refusés à l’Espagne ; ce furent aussi, trop souvent, des hommes gouvernables. Ferdinand le Catholique s’en plaignait à Guichardin, ambassadeur auprès de lui : « Nation très propre aux armes, disait-il, mais désordonnée, où les soldats sont meilleurs que les capitaines et où l’on s’entend mieux à combattre qu’à commander et à gouverner. » Et Guichardin ajoute, dans sa Relazione di Spagna : « C’est peut-être parce que la discorde est dans le sang des Espagnols, nation d’esprits inquiets, pauvres et tournés aux violences. » Ce portrait, de nos jours, n’a pas encore perdu toute sa vérité. Comme électeur, l’Espagnol ignore à peu près la résistance au gouvernement, qui, par un moyen ou par l’autre, a toujours la majorité. La ressource de l’Espagnol, sa manière de montrer de l’indépendance, c’est donc la rébellion. Et la ressource du gouvernement pour éviter la rébellion, c’est de donner spontanément et alternativement le pouvoir aux conservateurs et aux libéraux, quelles que soient les élections, de manière à satisfaire tantôt une catégorie, tantôt l’autre. Par malheur, cette sorte de pulsation qui devrait venir du peuple même, c’est le gouvernement qui la produit et qui, par des moyens artificiels, semble imprimer au cœur de la nation tantôt l’élan de diastole, tantôt celui de systole.

La justice ayant été, en Espagne, toujours mêlée à l’administration, toujours entachée de quelque arbitraire, jamais

  1. Voir Valentin Almirall, l’Espagne telle qu’elle est ; Paris, 1887. — L. Mallada, Los males de la patria y la futura révolution española ; Madrid, 1892. — J. -M. Escuder, Plus ultra ; Madrid, 1892.