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l’homicide atteint le chiffre énorme de 28 pour 100 000 habitans. Les statistiques sérieuses manquent pour l’Amérique dite latine, mais il est facile de concevoir que les conditions de race et celles de milieu y sont encore plus défavorables, ce qui doit entraîner un accroissement de criminalité. Ce serait une injustice pure et simple que d’en rendre les Espagnols responsables, alors que les Anglo-Saxons eux-mêmes subissent des fatalités analogues.


VII

Rien ne serait plus faux que de juger l’Espagne même sur ses colonies ou sur les destinées de la prétendue Amérique latine, où se trouvent réunies, comme on l’a vu, tant de conditions fâcheuses étrangères à l’Espagne.

Pour l’intelligence et pour la volonté, l’Espagne a toujours d’immenses ressources ; et, d’autre part, même dans les temps modernes, la nécessité est toujours la grande maîtresse de l’industrie. Comment rester en dehors du courant économique qui entraîne les autres nations et qui, sans « commander » le courant intellectuel et moral, comme le prétendent les marxistes, finit cependant par le susciter et par l’aider ? La montée même de la population rend nécessaires des changemens que sa stagnation n’aurait point provoqués. Sans doute l’Espagne n’a pas encore 20 millions d’habitans, et elle n’a que 35 habitans par kilomètre carré ; mais, comme le Portugal et comme l’Italie, elle a une natalité qui se rapproche de celle de l’Allemagne. A peu près constante depuis vingt ans en son taux d’augmentation, cette natalité est de 35 à 36 pour 1 000 ; le Portugal en a une de 34 à 35. L’Espagne aura bientôt retrouvé ses 40 millions d’habitans. Il y a là un grand élément de prospérité pour l’avenir, car la surabondance de la population permet les sélections sociales, oblige au travail, assure le succès final à l’intelligence.

Pour ses coutumes propres, l’attachement de l’Espagnol est opiniâtre : du dehors, il ne veut rien apprendre et n’a encore presque rien appris. Il traite l’étranger avec une grande courtoisie, qui recouvre une grande indifférence. Il est trop fier de lui-même pour être curieux à l’égard des autres : c’est « un grand seigneur ruiné qui maintient ses prétentions et reste fixé dans son attitude[1]. » Mais cette attitude ne durera pas : on peut de

  1. Vidal-Lablache, États et nations de l’Europe, p. 344.